Le désert, c’est pas seulement le terrain de jeu de demeurés déconnectés issus des classes sociales aisées qui s’encanaillent lors d’un Burning Man dévoyé de son sens originel et qui, à l’instar du festival Coachella – où se traînent les midinettes du monde entier, de l’actrice de série Z à l’influenceuse boutonneuse paumée, en quête de paparazzi paresseux prompts à leur donner un éclat glamour qui n’existe que dans leurs cervelles dont les fils se touchent -, ne signifie plus rien d’autre qu’hédonisme de pacotille et défoulement de tiers-étage, c’est également la perdition de villes autrefois réellement vivantes – parce qu’habitées par les nantis et le peuple, surtout le peuple -, telle que fut Detroit à son apogée, avant la délocalisation de l’industrie automobile et la chute sans fin, à tel point qu’hormis un centre aux allures saoudiennes – buildings pour hippies chics et commerces déconnectés du réel, par ici les bicyclettes électriques et les donughts vegan, il ne subsiste rien de l’âme de Motor City, et ce n’est pas la version peace and love d’un Iggy Pop lessivé, torse nu et rendu stupide par les abus de tout et de rien qui nous contredira.
Il suffirait pourtant de se replonger dans le Kick Out The Jams des terribles MC5 pour se rappeler à quel point le rock’n roll et l’industrie font sans le vouloir bon ménage : boulot de merde, tu passes ta rage, tu la passes à la guitare incandescente.
Aujourd’hui, à Detroit, les usines ont fermé, et si tu veux bosser, bah chez Starbucks tu sers du café à la con (c’est quoi votre prénom ?), aux tâcherons tatoués et épilés des couilles qui se pointent en vélo électrique et te parlent d’Isiah Thomas alors qu’ils ont à peine trente ans.
Tu m’étonnes que les mecs de Protomartyr ont les boules : un environnement aussi biaisé / baisé, qui pète les scores de pauvreté tandis que ton maire se targue de vendre des centres commerciaux inaccessibles et des piscines sur les toits et des conneries de circuits urbains pour photographes débiles amateurs de graffitis et de plafonds qui s’effondrent, bah merde. Toujours le peuple s’enfonce et personne ne fait rien, à part glamourifier la dèche.
Tout a commencé en 2012 pour les gars de Protomartyr – Joe Casey (chant), Greg Ahee (guitares), Alex Leonard (drums), Scott Davidson (basse) – et déjà le programme nous parlait : No Passion All Technique. Bien entendu, Sandrine (R.) Premier Degré, le titre était ironique : nous voilà cinq albums plus loin, avec un Formal Growth In The Desert, qui en douze titres nous rappelle à quel point ce combo sait jouer des climats et climax, avec cette pointe de mélancolie dense, douce et revêche qui fait sa force, tant elle nous ramène aux riches heures du rock ascendant new wave post punk.
Juste un truc qui cloche : les années 2000s ont produit un paquet d’excellents groupes dans un registre certes passéiste, mais encore plus de suiveurs peu inspirés. Pour un Bloc Party, tu avais mille The Bravery. Et là j’ai l’impression de suivre les aventures d’un groupe à côté de la plaque, en retard sur tout, citant trop, ou peu, ne faisant rien de mieux que les autres – ni le chant ni le texte ni la tension ne singularisent des Protomartyr sans inspiration qui, à mon humble avis, se voient nouveaux The National, et donc compagnons de canapés de Taylor Swift et autres guirlandes culturelles.
Motor City, mouais, adios, pour de vrai, personne ne te relèvera.
Je vois très bien Joe, Greg, Alex et Scott se taper des cafés latte menthe en réfléchissant, application Rebel World à l’appui, sur la meilleure manière d’être éthique dans un monde de putes. Formal Growth In The Desert est certes le bilan d’un désastre, mais malheureusement Protomartyr, s’il n’en n’est pas la cause, y participe pleinement, par son manque d’énergie vitale, d’authenticité et de loyauté pour la ville pourrie qui les a vu grandir, puis rétrécir. Downsize.