> Critiques > Labellisés



On aura besoin du deuxième titre de I Des pour nous retenir à l’écoute des chansons de King Creosote. L’ introduction de l’album était un peu décousue. « Blue Marbled Elm Trees » reprend le fil avec ses très jolis choeurs. Un air écossais nous appelle… 

Serait-ce une harmonie d’accordéon, de cornemuse, de cordes, d’orgue ? Un Nick Cave lointain, lyrique et jusqu’au-boutiste, ce serait lui King Creosote, le soprano. Les plaines, les falaises. 

Serions-nous un gang de mouettes survolant des flots neutres ? Gang qui snoberait les humains que nous sommes, nous, à côté de la plaque, nous qui restons au bord de la falaise, nous regardons la plage. Vertige du regard, irrésistiblement happé par cette mélodie - de lointains troubadours errant dans un village souillé d’ordures exhibées à ciel ouvert. Peau d’ Âne.

D’aucuns se jetteraient de la falaise

D’aucuns se jetteraient à l’eau 

Les uns hésitent tergiversent 

Appelés par le vide, ils reculent et trébuchent 

Sur deux cailloux.

Nous sommes à Bray. 

Beckett leur propose de les mettre dans les poches de leur fute 

Mails ils sont trop lourds.

Les voilà qui se mettent à les porter comme ils le peuvent sur le dos

Sauf que ça ne va pas, un caillou ça ne se porte pas 

Sur le dos 

Ça se laisse rouler.

Les autres se dénudent dans la crevasse. 

Reprenons le fil de la chronique. Bertrand Belin sur son Tambour Vision ne renierait pas les mélopées de Mellotron et ou autres orgues Hammond ou Roland (ou Robert, pour ce qu’on en sait, on s’en fout). Cette mélodie de « Blue Marbled Elm Trees » est certes bien stable sur ses pieds mais quelque chose de troublant - le falsetto dans la voix de Kenny Anderson - fait qu’on se demande où il veut en venir… Veut-il nous faire peur, nous faire danser, nous faire voyager, telle cette mouette solo échappée du gang, partie à la recherche d’un petit vent frais le temps de digérer trois maquereaux ? 

Optons pour cette dernière supposition, suivons-la. « Si j’étais un oiseau »Bertrand Belin - je serais une mouette. Certes elles sont cons, elles font du bruit, elles foutent pas grand-chose d’intelligent de leurs journées (contrairement aux hérons ou aux cigognes. Je rigole, c’était pour faire du racisme ornithologique, ça change). Mais les mouettes justement tout le monde voit ce que c’est : ça balance des scuds en plein vol, c’est relou. 

Attachons nos ailes de mouettes et survolons cet album de notre ignorance. Le rythme de balancier bancal éclopé que propose « Blue Marbled Elm Trees » annonce la suite, qui est planante comme un certain « Wonderful Life » de Black, c’est vous dire si on reste en Royaume de Grande-Bretagne. En fait puisque Black est mort je peux vous le dire maintenant : cet album de King Creosote a véritablement quatre ans.

C’est-à-dire que ces chansons ont été écrites et enregistrées en 2018 puis en 2020. Passé la cinquantaine, Kenny Anderson y chante ce qu’il a ressenti alors : l’impression fugace que tout s’était enfui (il aurait pris, comme beaucoup de musiciens, peu de temps « dans l’instant », vraiment, plutôt un temps fou à essayer de se faire connaître, qu’à jouer vraiment. « Un jour j’ai calculé le temps que je passais à jouer de la musique, comparé au temps passé sur la route, la promo, planter des petites graines, puis courir après les gens (…) » dixit l’artiste sur addict-culture.com

C’est le ressenti que nous livrent certains morceaux : passer le cap, c’est bien, mais changer de cap, c’est super aussi. C’est comme passer du vélo au VTT électrique quand on est senior, une super idée : on n’a plus d’âge. 

I Des porte pourtant bien son âge, mais sachons qu’il est le dernier chapitre d’une première carrière prolifique, quarante-et-unième album d’un artiste qui jouera prochainement en tournée ces chansons. Pour mieux nous surprendre avec le paysage suivant, celui de la nouveauté, celui d’une forme de liberté, celle avec laquelle on peut enfin prendre le temps. L’ ultime morceau nommé « Drone in B# » nous l’annonce, en trente-neuf minutes totalement planantes : survolons, c’est loin le chaos là-bas, derrière. À nous l’avenir, sereins dans nos têtes, usés dans nos corps mais plus sages de cinq décennies. 




 autres albums


 interviews


aucune interview pour cet artiste.

 spéciales


aucune spéciale pour cet artiste.