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Permettez-moi d’entrer en matière avec un jeu de mots facile, cette année, le festival aurait pu s’appeler Villette Tonic, une programmation toutouyoutou, Nisennenmondai aux barres parallèles hypnotiques, l’aérobix de monotonix, le fitness hardcore de Lightning Bolt ou encore Dan Deacon en prof de yoga sous acide.

Résumé d’un week-end qui te latte ton body. Le festival démarre pour moi le vendredi, c’est déjà la 3e soirée, au programme Goblin, compositeurs des BO des films de Dario Argento et aussi le fameux Zombie de Romero. Le groupe de rock prog italien est venu à la villette pour nous jouer les canons du cinéma d’épouvante, et d’emblée c’est dommage pour nous et pour eux qu’ils ouvrent le bal des vampires, on aurait préféré les voir en toute fin de soirée... Leur musique, bien que sortie de son contexte, nous procure le plaisir de (re)plonger dans ce répertoire prolifique des 70’ s. Le public présent est très jeune, je pense que ce sont beaucoup de curieux, fans des films cultes d’Argento, assoiffés d’hémoglobine, venus chercher un peu de magie noire. Il faut se laisser glisser dans cette ambiance rétro, qui peut sonner kitch, mais une fois dedans, difficile de s’échapper des lignes hypnotiques des synthétiseurs. Sur l’écran derrière la scène sont projetés des courts extraits de films en boucles, des images magnifiques, qui s’adressent à l’inconscient collectif, un petit garçon perdu et qui a peur, la musique le paralyse, il sait au fond de lui qu’elle s’échappe d’un grenier ou d’une porte d’armoire ouvrant sur un autre univers immense et effrayant...Ce soir on a franchi le pas, on est allé visiter le grenier.

3 Japonaises, dont personne ne se méfiait, sauf les méchants programmateurs que je remercie pour m’avoir offert la plus belle découverte en live de l’année : nisennenmondai qui en japonais veut dire bug de l’an 2000... La Batteuse est une catcheuse, d’emblée elle explose son kick de batterie et fait résonner son charlestone avec une dextérité qui impose immédiatement la fascination, arrivera t’-elle à tenir comme ça jusqu’au bout ? On devine déjà qu’il n’y aura que 3 ou 4 morceaux pas plus, le premier bénéficie d’une longue intro de 10mn pendant lesquelles les 3 Japonaises têtes baissées, basse et guitare parallèles se font faces, au centre d’attraction la batterie, la batterie, la batterie !! Ces 3-là sont vraiment extra-terrestres, fines et droites comme des i, les bras de la taille d’un mikado, pas de signe de fatigue, ni de douleur, la batteuse secoue sa crinière comme une nana au tekos du Larzac, sa queue de cheval balayant son profil au rythme technoide qu’elle bat comme une chienne sur un os. Au bout des 10 premières minutes la basse arrive, et il faut peut de temps pour que le riff de la guitare suive, les lumières sont très fortes, plein feu, la guitare se met à imiter les cris du violon.. Au deuxième morceau mirrorbal,on retrouverait une mélodie Goblin passée dans une batterie athlétique frappant sur son charlet comme quinze bûcherons canadiens abattraient 20 stères de bois, une mélodie progressive et hypnotique qui prend toute sa dimension en live, avec la réverbe naturelle ajoutée de la grande halle, la transe va durée encore 20 bonnes minutes... Le dernier morceau finira de me trouer le cul, l’énergie de la batteuse n’est vraiment pas humaine, un final free rock total, ou tous nos repères sont bousculés, une avalanche noise, des éclatantes lames venant nous couper les oreilles, une machine de guerre complète, toutes options pour défigurer les mâles machos qui s’étaient appropriés ce rock absolu, mais grâce au bug de l’an 2000, les filles sont depuis plus fortes que les garçons. Le problème dans un festival, c’est que lorsqu’on se prend une telle claque, le groupe suivant est forcément moins bien, aussi Liquid Liquid samplé par Grandmaster Flash, pompé par les Redhot, décalqué par LCD soudsystem, ce grand groupe modeste et généreux qui n’a pourtant rien à prouver aux festivaliers va nous finir. Leur son n’a pas pris une ride, une véritable invitation à se casser les genoux sur des rythmes tropikraut, une énergie sublimée par le leader charismatique, véritable génie de la pop.

Samedi soleil au beau fixe, ciel bleu azur, prairies bondées, le festival gratuit est ouvert, je fais des rencontres intéressantes au village labels, avec notamment le label Stembogen et ses artistes proches du GRM, comme le disque de Vincent Epplay projet autour de l’hypnose et de la relaxation, qui est un objet magnifiquement soigné. Il est déjà l’heure d’aller voir, plutôt écouter, Lightning Bolt, comme le groupe ne joue jamais sur scène, il est impossible de s’en approcher à moins d’aimer le contact très physique de la masse agglutinée tout autour.

LB joue fort, vite, très fort et de plus en plus vite, véritable phénomène de curiosité pour les badauds occupant toute la passerelle de 50m qui surplombe la foule compacte en arc de cercle autour des deux bons hommes de LB. Les arbres remués par le vent semblent danser au ralenti,on est passé physiquement à la vitesse supérieure, attiré dans un trou noir par le son crachant des enceintes, même la lune brillant dans ce ciel azur semble absorbée par l’attraction de LB. Tous passagers d’une fusée au décollage, les racines capillaires dressées, comme dans un grand huit de la lune à la terre.

Dimanche, météo plus menaçante, de belles éclaircies néanmoins, pas de pluie, mais une averse de talents...

Monotonix, ou comment mélanger art du rock et art du cirque, ces mecs sont les plus grands malades qu’il m’ait été donné de voir. Leur rock est abrasif, leur prestation comme nulle autre est grave. Le chanteur défie toutes les lois de la gravité, les méchants organisateurs ont bien sûr trouvé l’endroit idéal pour eux, un puit énorme rempli de gens partout. Le groupe ne joue pas sur scène, le groupe joue au milieu du public ou par dessus, pratiquant le slam tout le long du concert pour se déplacer d’un endroit à l’autre, Ami Shalevle leader charismatique est le Django Edwards du rock avec son look hardeux, ses longs cheveux bouclés, sa moustache Frank Zappa, son torse nu, ses chaussettes bariolées et son petit short de foot rouge, il grimpera à plusieurs reprises sur la passerelle au dessus de cette géante flaque humaine, montrant son cul à tous les gentils badauds, il tentera même de planter son micro à cet endroit (comme en témoigne le cliché fabuleux de Robert Gil) : ce qui est vraiment sale, vive le rock’n’roll !!! Les gens ébaubis par une telle performance voient la prestation s’aggraver de plus en plus, la grosse caisse de la batterie sera utilisée comme podium par Ami Shalev, droit dessus et soulevé par la foule, puis de tambour dans les airs... le nombre de "lianes" et piliers dans ce puit sont un terrain de jeu qu’il ne peut se retenir d’exploiter, quand le Tarzan du rock veut faire passer la batterie sur le pont, le plus difficile n’est pas de déplacer la batterie, elle sera catapultée par un public hilare, mais le batteur n’est pas aussi doué pour l’escalade que Sir Shalev, on le verra en réelle difficulté, à peine aidé par Ami qu’il le tira par la crinière. Non content de scotcher tout le monde à nous sortir le grand numéro, Ami demandera à tout le monde de fermer sa gueule et de s’asseoir, il fera aussi un saut de la passerelle dans le public, environ 1m de hauteur pour atterrir dans les bras des gens.

Dan Deacon animateur du club sonique, ce turblion pour reprendre une expression célèbre d’un autre animateur Nicos Aliagas, vous roule non pas dans la farine, mais dans la foule, c’est un spectacle extraordinaire auquel le public participe, provoquant un concours de danse, il offrira aux gens la possibilité de se rencontrer, de se regarder, et de fraterniser sur sa musique délirante. Accompagné de son ensemble de 3 batteries, 3 guitaristes, 3 claviers, 1 xylophone, une trompette, un saxo, et une fraise tagada. Un concert dans lequel on ne regrette pas d’être bousculé, mais on en redemande, les gens pris par l’empathie générale se mettent à se grimper les uns sur les autres pour se laisser caresser à l’horizontale. Pourtant, on était préparé à une telle hystérie collective, quand Dan au début nous a demandé de lever les mains, de les balancer, puis de les poser sur la tête de notre voisin pour une méditation de type yoga, en chantant cette note de musique qui ouvre les chakras... devant cette grosse boule à facette géante qu’est la géode, le public ne forme plus qu’un seul corps, une masse mouvante. J’ai rarement envie de pleurer pour la beauté du sentiment de paix naïf mais intense que l’on peut ressentir au milieu d’une foule aussi compacte, mais ce que fait Dan est un exploit, il possède un vrai don d’ animer un concert comme on anime un mariage ou un anniversaire en famille, mais aussi de nous faire vibrer avec sa musique de bâtard, on l’aime lorsqu’ il nous casse les jambes et les bras, quand on se met à crier comme des malades mentaux, quand la musique reprend de plus belle, quand on est submergé d’énergie et de joie !!! Si la géode avait eu une bouche, elle se serait tellement fendu la bille que sa mâchoire se serait décrochée, comme nous, elle aurait été décapitée. le concert s’achèvera avec le refrain repris par la foule entière : "Silence like the wind overtakes me, ooooooooooooooh oooooooooooooooh ooooooooooooooh". Immense.

voir les photos de Robert Gil

Monotonix fera son cirqux tous les jours aux Eurockx, on vous aura prévenu...



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