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Voici un groupe qui se prend très au sérieux. Car avec Indian Ghost, on ne rigole pas avec la tradition. Leur dernier album (le quatrième en vingt ans !) a beau se nommer « Old Music Will Have To Go », ces toulousains n’en démordront jamais : quoi de plus émouvant que de ressentir la chaleur boisée d’une guitare ou la souplesse d’une bonne ligne de basse ? Dans une vaste lignée qui inclurait Neil Young et Velvet, Stones et Mark Eitzel, punk-rock et blues, Indian Ghost tempère néanmoins son classicisme américain fortement respectueux par une décontraction, un jeu à la cool comme ne le renieraient guère aujourd’hui un Stephen Malkmus ou hier un Stan Ridgeway. Autant dire qu’ici, tradition ne veut pas dire passéisme : si le songwriting s’affirme comme intransigeant (dans Indian Ghost, la musique est une chose sacrée), la modernité s’insuffle pourtant dans chaque titre, au détour de chaque sonorité : la batterie fatiguée de « In The Long Run » soudainement rattrapée par un petit solo pavementien, la rythmique endiablée du sublime « Not A Rolling Stone » (comme si Keith Richards avait enregistré avec Lou Reed), l’évidence mélodique de « Tangier Girl » ou « Blue Eyes Crying In The Sun », la fluidité rythmique du poignant « Except Me Darling », la country morose de « Evil By My Side » (qui, sans exagérer, aurait pu figurer sur « Harvest »)…

La force de « Old Music Will Have To Go », ainsi que sa magie hypnotique, tient peut-être à ceci : ne pas oublier la débrouillardise des années Home Studio, l’aspect branlant conféré par le 4-pistes des débuts. Enregistré avec une classe folle par Triboulet (le Steve Albini français) au réputé Studio de la Trappe et produit par Don Joe himself (l’âme bougonne du groupe), ces dix chansons ne perdent jamais à l’esprit qu’une certaine nonchalance est parfois nécessaire afin d’éviter une servitude trop affirmée, qu’un laisser-aller s’impose pour offrir un souffle personnel (intime, serait-on également tenté d’écrire tant, chez Indian Ghost, chaque accord donne la sensation d’un don, d’une mise à nue) à des titres ayant trois fois l’âge de leurs auteurs. Sur ce point, les quatre toulousains ne possèdent aucun équivalent français : là où beaucoup se contentent de mimer, Indian Ghost se réapproprie et redéfinit ; là où certains ne dépassent jamais l’allégeance, Indian Ghost se confronte aux « maîtres » et parfois les surpasse (si Wilco sortait aujourd’hui un disque de cette trempe, l’intelligentsia crierait au génie) ; là où la triste doxa folk-rock française hésite à lever les yeux de ses charentaises, Indian Ghost lui donne un bon coup de pied au cul…

Actifs mais pas très productifs depuis 93 (mais on sait qu’une absence de reconnaissance ne permet pas de sortir un disque chaque année), Don Joe et sa bande donnent l’impression d’un méga groupe en attente. Du coup, la mélancolie de « Old Music Will Have To Go » tient sans doute à un aspect vieux combattants sans illusion, à un Crazy Horse qui se saurait condamner à une honteuse confidentialité... Indian Ghost, pour ainsi dire, anticipe l’anonymat et en saupoudre de spleen sa dernière production. Sauf que là, le vent risque de tourner. Très favorablement. Impossible d’imaginer qu’un disque tel que « Old Music Will Have To Go » ne permette pas à Indian Ghost de récolter le prix qui lui revient : celui du meilleur groupe de rock français actuel.

Intimidant certes, mais qui sait également chalouper comme personne, Indian Ghost doit impérativement se faire entendre. L’inverse serait absurde, incompréhensible et constituerait un affront à l’égard du rock français, à l’égard du vrai rock français…




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