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Pour ceux de mon âge, bercés dans leurs inquiète jeunesse de doutes sur les sens de nos vies, et la véritable nécessité de couleurs pour nous envelopper, pour cette quête de profondeur intime qui devait nous séparer du monde des êtes légers sans questions ni souffrances, dans la joie des funkys que les frères nous mettaient a tue-tête et la chanson française parfois si peu généreuse, il existait un havre, une aire 51 où joutaient nos désordres contre nos semblables, et ce domaine avait plusieurs quartiers, dont les ruelles s’entremêlaient au détours de cuirs noirs, de baroques attributs, de regards baissés bien qu’intenses. Ces quartiers de nos 16 ans, pour ceux qui s’y perdaient, s’appelaient 4AD, New Rose, Reflex records et d’autres, chacun plus sombres que l’autre, chacun plus lumineux. Dans ces bas-fonds j’ai erré, mes destins s’appelaient Cocteau twins, Dead can Dance, Trisomie 21, Xymox, Test dept. Et tant d’autres qui sonnaient comme des noms de bars où se refugier pour trouver enfin l’alcool réparateur, ou du moins, l’amnésie.

Dans ces années grises et froides comme les lointains nord, grandissait mon panorama auditif à grande vitesse, illuminé par tout son nouveau, avide de trouver l’émotion dans un vinyle inconnue. Je ne sais plus vraiment comment, ni qui, me donna un jour ce disque, The evening of the 24, auquel je ne portais pas vraiment attention, surement parce que l’esthétique de la pochette ne me parlait pas a cette époque. Mais par chance, je suis très conservateur, et un beau jour je me suis penché sur ce disque, et j’ai savourer l’ambiance comme si j’avais trouvé une perle rare, follement nerveux, heureux et imbibé d’un nectar somptueux, poétiquement impeccable, hautement musical, et d’une personnalité artistique tant parfaite qu’elle ne pouvait être feinte.

C’était en 1987, les eighties obscures, que les gothiques d’aujourd’hui fuiraient de peur, et surtout d’incompréhension. Nous sommes en 2014, 27 ans ont passé, mes rues sont plus amples, ce sont désormais des avenues qui laissent traverser des passants de tout type rockeurs sans âges, jongleurs de câbles électriques, illuminés paisibles aux home-made guitares sur fond de bois, 27 ans, et me revoilà devant eux, ô je ne les ai jamais perdu de vue, je vous l’ai dis, je suis conservateur. Ils sont là, devant leur énième disque, en croisière ininterrompu d’une carrière silencieuse et merveilleuse, fideles a leur personnalité de débuts, avec ce plus que donne l’âge a ceux qui veulent bien grandir, a ceux qui apprennent d’eux même les sonorités neuves, a ceux qui savent que le sang restera sang, mais que la chair change. Reste encore ce phrasé si connu, mais toujours enivrant qui récite en psaume des mots qui me laissent toujours muet, et font que ma plume reste souvent en blanc devant des maitres dans l’art de la mélodie vocale profonde et monotone, l’envoutement beau, prose hypnotique. Les musiques restent des pigments de lueurs dans des océans de noirceurs, un équilibre majestueux qui donne une ampleur infinie comme une steppe, auxquelles s’ajoutent avec le temps des épices plus rockeuses sans doutes, plus acides, donnant aux graves une puissance déroutante et envoutante, The legend of Mucklow est prenante, son rythme cyclique soulève en à-coups des morceaux de nos peaux ici et là, soutenant le discourt presque militaire d’une biographie humaine, Missing retouche des paysages blues en brumes britanniques, ornementés de cors et d’âmes, de corps et damnés, dans cette atmosphère qu’ils connaissent si bien, car elle semble être née en eux, qui porte de l’esthète au fou en un son de guitare écorchée.

Obvious est une œuvre que Nick Cave rêverait d’écrire, sale comme un salon de palais, fiévreuse comme une scène x, linéaire voix qui narre nos peurs, ces alentours de nous qu’on ne voit jamais assez, et The untangled Man est une rivière sonore qui déroule sagement dans nos oreilles, et sans rien dire, nous inonde l’intérieur, asphyxie nos maux, étouffe nos faiblesses, créant dans sa noirceur un bien-être, un sentiment de paix dans la tristesse, une berceuse pour adolescents épris de doute qui dans les eighties cherchaient leurs terres, et qui, 27 ans après, ont posé pieds sans s’en rendre compte, dans les rues qui ont toujours été là, dont les noms changent, mais pas les monuments, ni le ciel en dessus. Aujourd’hui je vous parle de cette légende, pour moi qui les retrouve a ces bouts de moi, de décennies en décennies, et qui se laisse emporter par eux, dans l’honneur de pouvoir parler d’eux, qui sait, dans vingt ans de plus, aurez-vous la fierté de les avoir écouter, et de les prononcer pour d’autres dizaines d’années, pour d’autres sillons, puisque finalement, cet The evening of the 24th, n’a aucune date fixe.