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Sur le papier, Orange Blossom a tout déplaire. Tout du moins irriter ou inspirer la méfiance : un style vendu comme mélange d’électro et de world music, un chanteur-percussionniste d’origine Mexicaine implanté à Nantes, un violoniste local, une chanteuse égyptienne, et un discours de « citoyen du monde » qui prêche l’universalité de la musique.

On nous a déjà tant de fois fait le coup depuis plus de vingt ans avec calcul, cynisme et toutes les ficelles marketing d’usage : « la rencontre magique et mystique de l’Orient et de l’Occident », « les milles et une nuits électro », « les stars de Bristol reprennent les classiques amazoniens », « Oum Kalthoum dubstepisée ». Le tout finissant plus généralement en BO d’un spot pour un déo sans sels d’aluminium ou une banque prétendant parler le véritable langage de la jeunesse. Depuis, de Dahab à Ibiza en passant par Hendaye, impossible de se poser dans un bar lounge sans subir l’une de ces compilations plus ou moins réussies mais bien trop souvent inutiles. Si vous êtes comme moi, le terme même de « world music » vous soulève le cœur et vous donne envie d’outer sur Facebook tous les gens de votre entourage qui possèdent un CD de Deep Forest.

Pourtant nous avons tous en tête de vrais projets musicaux, ambitieux, sérieux et sincères. En vrac : Natacha Atlas et Transglobal Underground, l’iconoclaste Jean-Philippe Rykiel, et plus récemment les projets Mixatac (Bamako, Beyrouth) ou les collaborations congolaises de Damon Albarn.

Carlos Robles Arenas et JP Chabot, les deux compères d’Orange Blossom semblent immunisés contre les procès d’intention et le doute : convaincus que la fusion des cultures musicales est inéluctable, ils trainent leurs guêtres sur la planète et mélangent les instruments, les genres et les voix depuis plus de vingt ans. Leur troisième opus enregistré entre Cholet, le Maroc et la Jordanie, est le fruit de près de dix années de travail. Et le résultat est là ; il est des moments où le cynisme ne résiste pas à la force de l’émotion : par exemple, l’écoute d’un album qui emporte tout sur son passage dès les premiers instants.

On ne sait jamais vraiment où l’on se trouve pendant la petite heure de ce voyage fascinant : le dédale d’un temple égyptien, le fond d’une crypte païenne, la place d’un village africain ou sud-américain, la salle de transe d’une troupe de derviches tourneurs. C’est un labyrinthe kaléidoscopal et tortueux où s’aventurer procure une excitation constante. Impossible de reculer, on se laisse alors guider par des chansons de grande classe, carrées et bordéliques à la fois, pleines de mystère et d’inattendu. Une torture pour les cartésiens casaniers de la musique qui aiment savoir où ils mettent leurs oreilles. Des morceaux maitrisés qui vont chercher aux fond de nos entrailles des émotions façon rollercoaster, puissantes et fines, portées par la voix divine de Hend Ahmed, chanteuse égyptienne, dernière et fabuleuse trouvaille du groupe, fil d’Ariane de notre ballade mystique.

D’abord très orientaux, les morceaux partent sur des bases assez classiques mais dérapent vite en trip-hop lyrique ou en grand huit encordé, avec des montées rock foutraques, des percussions énervées mais rieuses, des descentes en rappel et des respirations douces et apaisantes. Si l’arabe, sensuel et hypnotique domine, le bambara et le français s’invitent au milieu de cette véritable orgie sonore : percussions africaines ou brésiliennes, violons dingues d’Europe de l’est et cordes déchirantes d’un orchestre symphonique, guitares rock, boucles électro calibrées, saccades martiales ou minimales donnant une tonalité hyper contemporaine à l’ensemble. La remarquable qualité des compositions et une technique experte empêchent de voir la moindre couture de ce patchwork surréaliste d’instruments et de langages mêlés.

Un album qui surprend toujours mais qui n’étonne finalement jamais, tellement tout paraît naturel et à sa place. L’implacable évidence de la bonne musique.

Album hors nomenclature, à ne surtout pas ranger au rayon « World », « Under The Shades Of Violets » est juste un grand disque de musique à même de convaincre les plus sceptiques. Point. Il donne envie d’aimer, de partager, de célébrer, de voyager, et parfois même de croire. Un voyage chaud aux confins de la transe et d’une humanité retrouvée, d’une communauté de sensations partagées. Tout le contraire d’un marketing froid et grossier. L’émotion pure, et reconnaissons-le, universelle.

Une abolition des chapelles et autres courants, souvent factices, figés, parfois réactionnaires.

La musique de demain comme le pense son créateur ? Peut-être bien finalement.




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