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Issu d’une mère fan de Chopin et d’un père psychanalyste, Fred Lefranc commence par étudier le piano ; jusqu’au jour où son professeur refuse de lui apprendre les accords de « November Rain » des Guns N’Roses. C’en est trop pour Fred : adieu le piano pour se consacrer à l’activité de luthier – aucun traumatisme puisqu’il compose aujourd’hui les ossatures de Meredith aux claviers ainsi qu’à la guitare acoustique. Sauf que voilà : littéralement bouffé par le rock et la sincérité absolue d’un Kurt Cobain, Fred se réveille un matin en s’imaginant finir à cinquante balais dans une entreprise de lutherie. Abandonnant un chemin trop bien tracé, Fred quitte Grenoble pour Paris où il rejoint une école de son (la School of Audio Engineering) avant de trouver une voie plus intime en tant qu’ingénieur sonore. Epanoui dans son travail avec (notamment) Baden Baden, ce mélomane tombe néanmoins dans une autre routine : bosser de nombreux mois, à l’arrangement près, sur la musique d’artistes parfois éloignés de ses propres aspirations. Ainsi né le premier EP de Meredith (« Debut EP ») : Fred (guitares, voix) et Ben Delacroix (batterie) ; duo uni dans un défouloir basé sur la frustration, sur la nécessité limite thérapeutique d’écrire des chansons furieusement intimes car bardées de profondes convictions.

Enregistré très vite, comme un abcès à crever, « Debut EP » possède déjà certaines qualités que l’on désespère de ne pas ressentir plus souvent chez la plupart des groupes français « méchamment rock » : expurgez le groupe du mur sonique et celui-ci pourrait aisément se produire en acoustique. Car chez Meredith, le bruit n’est lié qu’à une colère résignée, à une forme émouvante de catharsis refusant le moindre slogan comme esprit fédérateur (antithèse totale de l’esprit metal, donc). Meredith : de belles chansons avec plein de bruit autour.

Plus affirmé, sans doute plus assumé, « The Shape Of Things To Come » confirme l’urgence de cette musique à vif en même temps qu’il appuie sur la méticulosité de Fred à peaufiner l’étape mixage – car, on s’en doutait, si les titres de Meredith surgissent avec beaucoup d’instinct et de lâcher-prise, la question du mix reste le terrain perfectionniste dans lequel Fred s’exprime. Et toujours cette impression : du songwriting nu, comme une allégeance, bien que le dernier souffle de l’abattement ne peut logiquement se révéler que par la fureur exsangue.

Pochette blanche (comme un pied de nez à la fausse maxime « musique sombre donc pochette noire »), « III » est à ce jour le plus bel EP de Meredith.

En amoureux de Shannon Wright, Fred tord le coup à ceux qui, jusqu’alors, ne voyaient en Meredith qu’un excellent groupe grunge (ou pire : une formation influencée par la scène metal – rire). La frustration est toujours présente (une frustration adulte, basée sur l’observation et le dérèglement d’autrui plutôt que sur la confession intime) mais les chansons atteignent ici le meilleur de Sebadoh (un groupe que Fred aime sans toutefois dresser des louanges à Lou Barlow).

Violent mais triste, colérique mais délicatement spleeneux, « III » plaît également beaucoup pour ses volontaires imperfections. Fred le confirme : comment mixer et masteriser des erreurs assumées, revendiquées même, afin de ne pas fournir une musique trop propre, trop jolie ? Chez Meredith, en effet, l’idée du sale ne résulte d’aucun questionnement, d’aucune pose. Le vécu musical de Fred, sa nécessité à triturer sa gratte et à pousser les vocalises conduisent naturellement ce dernier à composer une musique en accord avec soi-même : hyper mélodique quoi que trop écorchée pour oser le mensonge d’une pop bien vivante (« quand tu es heureux, tu n’écris pas : tu vas à la mer » assène Fred avec la judicieuse conviction des musiciens habités par leur art, par l’art en général), furieuse puis tendre, amplifiée par une mélancolie qui puise dans les réserves afin d’en extraire l’ultime cri du samouraï… Meredith : artistes sans triche.




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