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On avait quitté Arnaud Le Gouefflec du côté de sa casquette musicale dans ses pérégrinations cosmiques avec "Chansons Robots" comme une suite aux "Chansons tombées de la lune", spectacle pour enfants où le brestois s’amusait à croquer le monde d’une SF ludique avec l’aide des fidèles John Trap, Chapi Chapo et de l’illustrateur Laurent Richard.

Le voici qui revient à travers son activité de scénariste et finalement on n’est pas très loin. Une fois de plus, ici, on se plaira à naviguer dans des pistes brouillées, un peu comme si Ray Bradbury rencontrait le Robert Wise de "Le jour où la terre s’arrêta".

Chez le brestois, l’intérêt est dans ce télescopage du quotidien le plus familier avec l’extraordinaire le plus trivial. Rien de surprenant de sa part quand on connait l’attirance du monsieur pour le fantastique social de Pierre Mac Orlan. Ne négligez pas pour autant la seconde lecture (et les multiples autres) que l’on sent en arrière de ce drôle d’endroit pour une rencontre du troisième titre. Il y a du métaphysique dans les interrogations anodines du héros de cette aventure.

Vous savez. Ces grandes questions de l’humanité, ces grandes réflexions comme des sentences. Sommes-nous seuls dans l’univers ? A quoi ressemblent ces êtres venus d’ailleurs ? "Soucoupes" propose quelques débuts de réponses. Les extraterrestres sont des êtres avec peu de pouvoir qui ressemblent au mieux à des boites de conserve, au pire à rien.

Finalement, le plus décevant dans tout cela, c’est que ces extraterrestres milles fois fantasmés, pour ne pas dire déifiés, nous ressemblent beaucoup, vivent les mêmes problématiques, les mêmes craintes, les mêmes incompréhensions.

Arnaud Le Gouefflec et Obion nous baladent dans un entre-deux temps, jamais steampunk mais toujours marqué par une certaine torpeur des années 50. Du jour au lendemain, la terre est envahie par des soucoupes volantes et des créatures en scaphandre. Les deux compères décident d’ancrer leur récit loin du spectaculaire, de la grande histoire et paradoxalement de la Science-Fiction. Ce qui compte ici, c’est plus l’impact sur un quotidien le plus commun de l’incident, de la rencontre incongrue.

Ou comment faire débloquer une routine pépère, désaxer les points de vue. Ce qui compte ici, ce n’est pas la différence avec l’extraterrestre ni même sa découverte. C’est le déraillage des petits moments de chaque jour dans une ville imaginaire qui fait furieusement penser à un Brest crypté où les habitants reconnaîtront ça et là quelques indices pour initiés. Ici, un petit clin d’œil au disquaire de l’excellente Oreille Cassée, là la place Guérin ,notre foire aux miracles du centre ville, lieu haut en couleur. Comme dans les films d’Hitchcock où l’on prenait plaisir à chercher la présence du maître, ici, on s’amusera à repérer ici et là quelques petits signes comme le portrait d’Eugene Chadbourne avec lequel le brestois a collaboré.

Chez Le Gouefflec, musicien, auteur de roman mais aussi scénariste de bd, il y a souvent (toujours ?) cette marotte comme une obsession de la déambulation finalement pas si éloignée de "L’homme qui marche" à la façon de Jiro Taniguichi. Certes, le propos est moins contemplatif, plus trivial mais il se dégage de ces pages lumineuses derrière l’humour une poésie au réalisme de façade.

Qu’attendent donc de nous ces extraterrestres décevants ? Comprendre ce que nous sommes, notre sensibilité. Entrer en immersion dans notre quotidien le plus banal pour tenter de toucher à notre authenticité, notre nous profond. De cette étude approfondie, que retiennent-ils ? Un ennui mêlé à de la monotonie. La beauté relative d’ "Ascension" de Coltrane, "La mer" de Debussy, la découverte de cette activité étrange des humains, la sexualité. A quoi donc tout cela sert-il ?

Finalement de cette audition de nous-mêmes, les extraterrestres n’en retirent pas grand chose. Des questions peut-être, toujours plus d’interrogation. Dans ces rencontres du 3ème type, ce qui reste somme toute, c’est plus cette certitude d’être différent sans vraiment se comprendre, d’être sans grand chose de commun. Il faut voir le héros de "Soucoupes" découvrir avec stupeur que par l’entremise de son ami boite de conserve, il peut vivre dans son tableau préféré pour s’en lasser bien trop vite.

Qu’a donc d’exceptionnel cet être venu d’ailleurs ? Quel est son signe qui le distingue de nous ? Quand on y réfléchit bien, pas grand chose. Passée la stupeur des premiers instants, on ne voit finalement que de la ferraille qui réfléchit, qui s’interroge et ne répond pas. Un ET fait maison, commun, sans particularité.

"Soucoupes" ou comment faire d’une œuvre de science fiction une esquisse de la banalité.Banal peut -être mais exaltant comme l’envol d’un OVNI.

http://www.obion.fr/blog/

http://www.arnaudlegouefflec.com/




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