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Procès

« Toute l’année, les crieurs et les râleur trouvent des choses médiocres ou bien pas mal ou bien sublimes ; et puis dès qu’on leur propose quelque-chose qui n’est peut-être pas sans défaut mais qui… » disait un Maurice Pialat résigné après avoir empoché la Palme d’Or huée pour son sublime « Sous le soleil de Satan ». Rien ne rapproche les marseillais d’Aline du cinéaste de « Loulou » sauf une médisance populaire, le souhait de ne pas voir tel ou untel recueillir les suffrages.

Il serait logique d’outrepasser le fiel de certains à l’égard d’Aline (sur le mode « après tout, c’est leur problème »). On peut effectivement ne pas être touché par la musique de Romain « Donald » Guerret parce que, banalement, on n’aime pas la pop. L’affaire devient plus trouble et contrastée lorsque les attaques proviennent d’auditeurs ne manquant jamais d’adresser couronnes et lauriers à Etienne Daho (même lorsque celui-ci revient en petite forme), à Morrissey ou Felt. Car si depuis Young Michelin déjà, l’influence Smiths et Lawrence paraît évidente chez la bande à Romain, « La vie électrique » s’inscrit, lui, dans le sillage du plus anglais des chanteurs français (« Les mains vides » où les « Heures indoues » d’Aline). Se courber devant Daho puis cracher sur Aline révèle ainsi un contre-sens, un aveuglement (ou le souhait de ne pas voir une filiation pourtant limpide), un procès d’intention dénué de plaidoirie. What difference does it make ?

Grain

S’il fallait impérativement chercher la petite bête, on pourrait reprocher (ce n’est pas mon cas) la haute propreté de cette musique qui ne connaît pas le sale ou la débauche. Et encore : cela reviendrait à juger Aline à l’orée de ce que l’on attend aujourd’hui de la pop ou du rock, à oublier que les disques de lloyd Cole ou des Go-Betweens sont toujours très bien placés sur nos étagères. Ecoutant l’album « La vie électrique », un ami musicien (farouchement anti pop) me disait récemment cette pensée fondée : « en ce moment, en France, je n’ai pas envie d’écouter une pop aussi produite, sans grain ; mais faut quand même avouer que l’album d’Aline, dans son genre, est vraiment réussi. » Ne rien éprouver face à un morceau pop n’empêche donc pas la conscience du beau travail…

Basse

Aline se pose les bonnes questions musicales. Face à « La vie électrique » surnage un état de fait lié à l’emploi de la basse en France : souvent bâclé lors du mix, cet instrument n’est guère le point fort des producteurs hexagonaux. Comment faire sonner cette foutue basse ? Partir à l’étranger et bosser avec Stephen Street ! Résultat : enfin un disque français dont la basse impose le respect. Si l’on y ajoute les jingle jangle très Johnny Marr et Maurice Deebank propres à l’ensemble ainsi que l’aspect parfois implorant avec lequel Romain s’exprime dorénavant (jamais n’avait-il aussi bien chanté que sur des titres tels que « Tristesse de la balance » ou « Chaque jour qui passe »), inutile de passer ses journées à trafiquer des pédales d’effet pour admettre qu’il s’agit là du disque français le mieux écrit et produit de l’année.

Amour

Comme hier avec « Regarde le ciel », les meilleurs textes de Romain auscultent la débâcle sentimentale. Chez lui pourtant, l’axe d’écriture est neuf : il ne s’agit pas d’aligner quelconques fulgurances poétiques (ce dont, soyons honnêtes, tout le monde se contrefout) ni d’exploiter l’axe du racoleur (du genre « j’emploie le mot baiser et je suis content de la provocation »), pas même d’abuser du mystère crypté (depuis la perte Bashung, la méthode vire obsolète). Il y a chez Aline, au niveau des mots, une clarté romantique, la simplicité du blessé quarantenaire observant son spleen avec résignation humoristique et absence de fatalité. Romain refuse l’auto-psychanalyse, il puise certes dans son expérience personnelle mais trouve toujours la bonne distance, le bon angle – pas de pathos, d’indécence, de frime ou de fierté affichée. Voilà peut-être pourquoi, hier comme aujourd’hui, Aline possède un aspect générationnel : qui, en France, exprime actuellement mieux que Romain cet aspect détaché mais observateur face à la connerie universelle et l’acceptation de la bérézina sociale ?

Sans doute conscient de devoir se renouveler, Romain, entre deux fulgurances romantiques, cherche également ici à écrire sur des thèmes (donc à se positionner encore plus omniscient qu’à l’accoutumée). Parti-pris nécessaire, pour tout dire géré avec classe, mais qui laisse parfois ressentir une certaine douleur au moment de coucher les mots sur papier. On devine (peut-être à tord) que certains textes furent moins spontanés, plus prises de tête. De là parfois une fluidité qui sent le travail et le doute, comme si l’auditeur comprenait le mécanisme d’écriture et ces phases successives – pas vraiment un problème car le résultat échappe au forcé, à la torture linguistique.

Steven

Plus varié et aventureux que « Regarde le ciel », « La vie électrique » pioche (à dose homéopathique) dans le reggae, la new-wave, la parodie punk (« Promis juré craché », comme un « Ça plane pour moi » destiné aux années 2010) ou le funk – quand bien même la pop cristalline prédomine. Encore une fois, c’est bel et bien aux Smiths que renvoie Aline. S’il fallait établir une correspondance entre Steven / Johnny et les auteurs de « Elle m’oubliera » (chanson d’amour préférée pour tous les adultes éternellement ados), « La vie électrique » serait l’équivalent de « Meat is Murder » : volonté de conserver un socle tout en confrontant celui-ci à d’autres optiques musicales, paroles oscillant entre l’intime et la soudaine ouverture au monde, production affirmée et bagarreuse… Beau disque de transition.




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