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  • 16 décembre 2019 /
    Mickaël Mottet
    “La fausse modestie, je trouve ça redoutable”

    rédigé par gdo
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Pour nos 20 ans et notre Volume 50 nous vous avons demandé de nous parler de votre rapport avec notre Webzine. Voici un témoignage.

J’essaie de me souvenir de la dernière fois où on ne s’est pas senti un peu nostalgique en écoutant cette musique. Jamais, en fait.

Il y avait peut-être une légère ironie dans la voix de Lenoir, en 1995, quand il promettait une heure de musique “pas comme les autres”. Ce qui est marrant, c’est qu’aux premières écoutes, je confondais tout, j’avais l’impression que toutes les chansons sonnaient pareil. Licence to confuse​ par Sebadoh, ​Los Angeles​ par Frank Black, ​Miss Dandys​ par Bandit Queen.

Et puis il y a eu le choc de la première écoute de ​Superglider,​ de Drugstore. Puis un autre truc, que je n’ai jamais retrouvé depuis, un morceau avec trois tonnes de reverb qu’un crooner ouvrait avec les mots “I... I awake as she awakes”. Le refrain était hanté par un chœur féminin noyé dans encore plus de reverb (forcément). Puis, la chanson ​A découvrir absolument​ de Diabologum, où Cloup répétait trois fois “Tom est tout seul”.

Trois-quatre ans plus tard, je suis parti faire mon assistanat à Londres. J’ai enregistré en huit mois plein de chansons sur un 4-pistes à cassette insupportable, qu’il fallait redémarrer jusqu’à trois fois par prise. C’est devenu ​Beeguenging​, que j’ai “sorti” sous le nom Angil. Sorti, c’est-à-dire envoyé à Lenoir, à Magic, et à quelques webzines dont Jade Web et ADA, qui l’a chroniqué.

Gérald de Oliveira écrivait en s’agrippant à son émotion, en inventant l’anti-style dont il ne s’est jamais départi. “Beeguending d’Angil fait parti (​sic​) de ces coups de cœur qui vous font oublier... surtout de chroniquer le disque.” (Tom est tout seul.)

J’ai rarement été aussi touché que par les chroniques de ces premières démos, et la fidélité de Gérald. C’est aussi le prénom du boss de mon label ; il doit y avoir un truc prédestiné, quand on s’appelle Gérald.

La fausse modestie, je trouve ça redoutable. Dire qu’on n’en revient pas d’être toujours là, quand c’est une posture, c’est juste de l’orgueil mal placé. Alors que mes Géralds, ils n’en revenaient déjà pas d’avoir sorti leur premier disque. Leur première compil. Leur première chronique. Il y avait d’entrée quelque chose de contre-nature, pour eux, dans la position de passeur ; parce qu’ils sont avant tout des gens de passion, et jamais des donneurs de leçon.

Tous les deux avaient dès le départ cette petite nostalgie, cette saudade dont seule Kim Deal a le secret, et qui n’est pas seulement le symptôme d’une époque donnée, d’un style musical donné, ou d’une culture pseudo-alternative. Il y a quelque chose de plus universel dans leur lutte. Et certainement un trait ontologiquement portugais, parce que ça aussi, c’est un point commun entre mes deux Géralds. Et quand on s’est déjà baladé à Porto, on comprend pas mal de choses sur la beauté, et l’abnégation à la défendre, quoiqu’il arrive.