Nous évoquions récemment le fantastique « Venusia », enregistré conjointement par le violoncelliste Henrik Meierkord, le flûtiste Pawel Kobak, le guitariste Rocco Saviano et l’électronicien Marco Lucchi, en une chronique trop courte et décousue car rédigée en fin de soirée, au moment où la fatigue pèse de tout son poids sur vos épaules courbaturées et favorise néanmoins l’état quasi-hypnotique idéal pour l’écoute d’un tel album, qui restera cette année un de mes grands plaisirs d’auditeur. Parfois on adore un disque et l’hommage qu’on voudrait lui rendre n’est pas à la hauteur de l’enthousiasme qu’il provoque.

C’est ainsi que, mû par un désir de rédemption accompagné d’une joie non dissimulée, je me suis lancé dans « Suggestiva », également publié par le label amstellodamois Ambientologist : il fallait creuser le sujet et attentivement se plonger dans cet album enregistré par Marco Lucchi et Henrik Meierkord qui, en sept longues plages sonores, construit patiemment des rêveries hypnotiques et bourdonnantes de synthétiseurs planants, du lent au beau, de l’obsédant à l’abandon, du lysergique au concret fuyant.

Si les grands anciens sont convoqués, l’Italie médiévale (« Dante »), les saintes écritures (« ὁ γὰρ καιρὸς ἐγγύς »), l’acousmatique allemande (« Elektronische Meditationen »), c’est pour mettre en avant une pluralité musicale où tout se nourrit de tout. La spiritualité n’est pas une fin en soi mais un voyage, un voyage émotionnel et apaisé, le jardin se déplace sous nos pieds, à la vitesse d’un jardin qui marche (« Il Regno e il Giardino »), patiemment, se semant autant qu’il sème, racines mouvantes, dans un espace perpétuellement ouvert. La musique est polyglotte et pourtant ne parle qu’une seule langue, elle s’adresse à tous, ce qui en fait une richesse patrimoniale infinie. En ce sens, « Suggestiva » est une déclaration d’amour universelle à cet art que je mets bien au dessus des autres, et qui trouve ici deux humbles orfèvres aux doigts d’or.