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Drôle de rencontre entre votre sentimentale chroniqueuse et ce très bel album qu’est Hyperherz. « De la Viande », deuxième track, est le morceau tribal et hypnotique qui suit l’envoûtant « The beginning and the end of the Anthropocene ». « De la Viande » nous réveille. Nous croyions rêver, non. Nous n’y avions pas prêté attention, c’est que nous étions en train de tomber amoureux de Hyperherz. « De la Viande » nous coupe la conscience en deux. Une conscience débile, bavarde, estivale, et ensoleillée, qui empêchait jusqu’alors la réalisation lucide que nous allions rajeunir de quarante-cinq ans en l’espace de dix minutes. 

Ça peut faire pareil avec les champi. Ça peut faire pareil avec Beach House. Ça continue d’ailleurs. Je revois encore la cuisine et le plan de travail, mon ordi posé dessus et cette question, cette hébétude : « C’est quoi ce truc ? Qui m’a fait ce cadeau ? ». Deux albums de Beach House gentiment intégrés aux « Ajouts récents » de ma bibliothèque musicale. Qui donc ? Eh bien je ne l’ai jamais su. Avec Ichliebelove c’est différent. Les premiers albums de Philippe Raimond (qui imagine et concrétise ce projet depuis dix ans) ne m’avaient pas mise en appétit. Peut-être les présences d’ Alice Champion à la production et de Rien Virgule m’auront-elles tapé dans l’ouïe ?

Le premier titre de Hyperherz tentait pourtant de nous prévenir : il allait se mettre à tourner, ce dernier album, dans le minuscule périmètre de notre appartement/cerveau surchauffé par le soleil et malmené par des journées oisives. La basse allait s’incruster dans les entrepôts de notre mémoire la plus profonde, dans le souvenir qu’on avait de certaines partitions de Laurie Anderson. La oh so special Tara Burke partait aussi dans cette direction-là (celle de l’expérience) à ses débuts avec Fursaxa.

Dix minutes, deux titres, le temps d’une aube. « Liquid Time » se met ensuite à rouler sur des percussions puis sur un chant qui emmène l’auditeur, via un sifflotement et une douce voix vers qui ? Belle and Sebastian ? On croit reconnaître un délicat accent britannique en tout cas. Quelques secousses de chicken eggs et il est trop tard, les chœurs apparaissent en retrait ainsi qu’un gong et nous prennent chacun par une main, balançant le petit enfant que nous sommes redevenus en l’espace-temps de quelques mesures (non, de deux minutes). Mais soudain, progressivement, sournoisement même - mon coeur bat à plus de cent - j’entends ce geste de tourner une page en boucle, en boucle, en boucle, en boucle… « Liquid time » constitue une de ces expériences musicales, sensorielles, sublimes qui prouvent, une fois de plus, qu’aucun autre artifice que celui de la composition n’est utile pour nous secouer les cinq sens. Ça fait mille ans que j’ai pas écouté Fennesz. Là j’en ai envie. 

La vibration suffit pour être pleinement présent et profiter de ce merveilleux cadeau qu’est la vie. Douze secondes avant la fin de « Liquid time » le clavier nous tient encore par le bout de l’auriculaire pour nous lâcher dans le vide. Nous flottons alors irrémédiablement sur un océan de nuages, pour toujours, éternels. « I must be happy » nous accueille alors dans ses bras maternels et nous berce. Il reste encore quatre titres à écouter. C’est beau.