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La Lune est cet astre mort qui accompagne la Terre depuis toujours et a, de tous temps, fasciné les hommes. Stérile, aux contrastes de températures saisissants, il porte pourtant plusieurs mers et lacs, symboles de fécondité pour ceux qui, du bout de leur lunette, les ont découverts puis baptisés. C’est à ce corps céleste que Bruno Fleutelot rend hommage tout au long des 10 plages de [Ozo Viv], réédition bienvenue sur le label Eglantine records d’un cd-r paru initialement en 2005 chez Im Lauf der Zeit.

Chaque plage du disque porte le nom latin d’une mer ou d’un lac lunaires, et chacune porte en germe ou en fruit la tension entre le figé et l’animé, le temps géologique et le cycle de la vie. Au premier abord plutôt ambient, dans le sens où la musique s’étire et évolue sans l’appui d’éléments rythmiques, la musique d’[Ozo Viv] se charge au fil du disque en aspérités et éléments organiques, d’abord discrets (la vie fossilisée en longues strates étirées de Mare Moscoviense laissant place aux accords et arpèges de basses de Mare Fecundiatis) puis plus flagrants : on perçoit alors des sons du quotidien, des voix et rires noyés dans la distance, ou la présence d’un mystérieux correspondant sur un message enregistré. Toutes ces traces sont disséminées, comme les débris laissés par les missions Apollo successives que l’on croiserait lors d’une exploration de la face cachée. Palus Nebularium et Mare Margins racontent ce voyage, voix lointaines puis long tunnel battu par des vents aux graves profonds, sas ouvrant vers la surface, exploration d’une étendue vide dans laquelle les basses se rétractent et laissent la place à des mélodies minimales. Le corps oublie de s’écouter, s’habitue à l’absence de repères et se prend à profiter de la plénitude de ces instants, avant que des voix, plus fortes, plus enjouées, ne reviennent hanter l’esprit et tenter de raccrocher l’homme à la seule existence possible. Ce goût pour le froid, le vide et le calme, contrebalancé par l’instinct de survie, se retrouve dans les deux titres suivants (Mare Smythil et Sinus Roris) avant qu’un motif rythmique (batterie et basse saturée), véritable récif affleurant au sein de Mare Humorum, ne prenne un relief démesuré. Fasciné par la surprise, et oubliant que le voyage n’a pu être tenté que parce que le retour était garanti, l’explorateur est tenté de se forger un destin sur place. L’oxygène raréfiée fige la rythmique qui apparaît sur Mare Australe et les accords de piano qui l’accompagnent prennent progressivement la consistance d’une pierre sombre et granuleuse, avant que l’engourdissement n’emporte le visiteur qui, couché sur le dos, voit passer les nuées de poussières et repense, peut-être un peu nostalgique, au ballet des autos un soir de départ en vacances. Mare Tranquilitatis marque le chant du cygne du dernier Homme sur la Lune, qui sera bientôt recouvert de poussière et rendu à l’état de minéral. Les voix de sa vie se penchent sur lui et murmurent à son oreille, l’accompagnant jusqu’à son dernier souffle.

La réédition d’[Ozo Viv] est une belle initiative. L’artwork magnifique, signé Aurélie Brouet, est à la hauteur de la richesse et de la qualité du contenu. Bruno Fleutelot, qui dans une vie parallèle était la moitié du duo Oboken, signait avec ce disque un digne successeur du magnifique « Apollo – atmosphères & soundtracks » de Brian et Roger Eno et de Daniel Lanois, à ceci près que le voyage semblait cette fois-ci se dérouler presque intégralement sur la face cachée. La réédition en cd comprend une onzième plage, qui ne figurait pas sur l’original,mais qui ne dépare pas avec cette très belle collection d’ambiances et d’atmosphères.