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Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberghe de Girls In Hawaii se demandent en ouverture d’où viennent nos larmes dans le bien- nommé "Refuge".

D’où viennent-elles ? Ou partent-elles ?

Car on ne peut empêcher, on ne peut résister à la force de l’élément liquide...

Car tout doit couler, s’évacuer

Bien entendu, nous nous rappelons du sommet qu’était "Everest", sommet de grâce et de pudeur, album de deuil, de séparation ,de réparation.("Where do your tears come from ?")

"Refuge" poursuit ce travail entamé et qui sans doute ne se finira jamais. Car pour faire son deuil, pour s’apaiser un peu, il faut corrompre sa sensibilité, mettre le mouchoir sur ce qui fait trop mal, le mettre à distance, rendre la voix de sa douleur atone.

Cet Ep de Girls In Hawaii me remet en mémoire ces mots d’Elizabeth Kubler- Ross :

"L’expérience de la mort est presque identique à celle d’une naissance. C’est une naissance dans une autre existence."

Car nous vivons tous des deuils, dans chaque instant de nos vies, il n’y aura jamais rien de plus universel que l’affirmation pudique d’une douleur dans une oeuvre d’art. Il n’y aura jamais rien de plus cathartique que le partage aux autres de ces fêlures béantes comme une dilution diffuse de son chagrin...

D’où viennent les larmes ? Où vont elles ? Où disparaissent elles ?

Combien est éphémère la vie d’une larme comme des points de suspension qui rythment nos vies.

Mais il est des peines qui se refusent à la résignation, qui affirment le combat, qui veulent être, qui veulent revenir à la vie. Il en est ainsi de la musique de Girls In Hawaii, solaire, mais de ces soleils planqués derrière les nuages épais, de ces ubacs qui jalousent les adrets, de ces lignes d’équateur sans joie, de ce tropique du crabe qui fait son chemin insidieusement. La musique est rayonnante car humaine, à l’instar de la mélancolie d’un Jason Lytle, combative et volontaire comme celle des Angevins A SInger Must Die.

Ecouter l’expression de la douleur de l’autre a ce quelque chose de tellement précieux. Que ce soient ses artistes qui nous parlent confusément d’eux, que nous décodons pour en y trouver le sens que nous voulons y trouver. Que cela soit dans nos vies du quotidien, malgré les filtres que nous mettons entre nous et les autres, ces ennemis, quelque part, en nous, un petit quelque chose nous maintient nos têtes un peu hors des vagues. Nous n’avons plus pied, nous sentons le vertige du vide sous nous, pas de ces bercements heureux. Pourtant, nous sommes parfois des mains, des mains tendues dans un vide apparent entre quelques mots inutiles et la fraîcheur d’un regard.

Pour mettre à distance nos démons, il faut parfois en créer d’autres, comme des leurres. ("Build A Devil")

Il faut parfois bomber le torse avec cet allant puéril sans vraiment y croire.

Il faut parfois brûler, répandre les cendres, enterrer l’inquiétude pour tenter de s’en affranchir.

Parfois, on veut organiser le chaos, le nettoyer, le rendre cohérent. Parfois on cherche sans y croire à remplir le vide. Ce vide si grand qu’il devient un double de nous-mêmes, ce chagrin comme un continent, comme un archipel. ("Leviathan") Parfois nous nous oublions dans la complaisance de nos souvenirs ....

Je suis plus vieux que mon père, je vis ces expériences qu’il ne vivra jamais, je côtoie ces personnes que jamais il ne connaîtra. Je suis ce père que jamais plus il ne sera. Pour lui, toujours ces routes en lacet, toujours ce virage qui l’attend. Nous avons besoin de ces paravents comme des Canada, ces voiles comme des toundra, ces remparts comme des terres glacées. Tu es plus âgé que ton grand-frère... Comment aurait-il vécu sa vie ? Sentirait-il comme toi ce même frisson en entrant dans l’eau de cette rivière en contrebas ?

Nous sommes des vivants et des morts,nos morts sont toujours à nos côtés, comme des plaines de manque, comme des satellites de larmes et de regrets.Nous sommes de vivants et des morts. Pour la personne qui connaît l’expérience du deuil, c’est tous les jours, Toussaint. C’est une force d’anéantissement qui nous détruit pour mieux nous laver. Nos morts brillent dans le miroir, ils sont là quelque part, jamais bien loin ("Connection")

Nos morts habitent nos continents, nos terres sacrées. Ils vivent au fond des baies, ils rient autour d’un feu, dans une quiétude enfin apaisée. Ici, pas de place pour une gravité orgueilleuse ou intimidante. Tout au plus un îlot de tranquillité...("The Creek")

Parfois les clichés, les lieux communs ont toute la force de leur sens premier. Ecouter les confessions jamais impudiques d’Antoine Wielemans et Lionel Vancauwenberghe de Girls In Hawaii n’est jamais dérangeant, non, bien au contraire, sans doute, ces mots les soignent-ils autant qu’ils nous soignent. Ces mots ne nous dédouanent pas de nos manques mais ils les éclairent, les font vivre, leur rendent justice.

"Refuge" est un juste complément à l’immense "Everest" mais sans doute faut-il encore y ,joindre le live acoustique "Hello Strange" qui vient encore rajouter ces troublantes émotions à cette oeuvre sincère et si juste sur ces expériences que nous avons ou aurons tous en commun, celle de la perte et du manque. Réécouter "Misses" à la fois à nue et épurée rajoute encore une inconnue à cette équation émotive, irradiante. Bien entendu, la dimension spontanée liée à la captation live finit de nous emporter avec cette force charismatique qui emporte tout ("Switzerland"). Le sujet est sensible bien entendu mais non sans chaleur.... Un peu comme ces lettres envoyées à un vieil ami un peu perdu de vue pour le rassurer, lui dire que l’on ne l’oublie pas, ne pas non plus laisser de côté les petites failles comme des reproches, les assumer, s’y confronter, faire confiance à l’autre, à sa compréhension, à sa capacité en entrer en communication.

Nos deuils nous rendent plus vivant, plus prompts à prioriser entre ce qui est nécessaire, ce qui est futile. Girls In Hawaii est précieux, vital comme le soleil qui forcément un jour se lève de derrière les nuages.

http://www.girlsinhawaii.be/