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Parfois, il faut savoir rendre à César ce qui appartient à César. Rien à la base ne me prédestinait à écouter cette musique étrange réunissant musiques tropicales à une langue créole incongrue. C’est au saint patron d’A Decouvrir Absolument que je dois ce bon conseil, à Saint Gerald De Oliveira, protecteur des mélomanes, des veuves et des éplorées.

Une musique qui s’adresse au vieux citadin neurasthénique qui gronde en vous, au vieux dépressif décrépi et aigri qui dort en vous. Bon, certes, ce n’est pas non plus "Le Petit bonhomme en mousse" loin s’en faut mais il se dégage de cet objet égaré une poésie libertaire qui ferait se croiser un Tim Burton façon tropiques à un François And The Atlas Mountains plus art brut et qui n’aurait pas oublier d’abuser du Ty Punch et du Paca lolo (Herbe locale goûtue et appréciée).

Inclassable ? Certainement. Comme une sensation vague et persistante de deux siamois autrefois séparés à nouveau réunis. Ressentir cette douleur du membre fantôme. Percevoir cette volonté de métissage, de mélange des ambiances. Oser mêler le folk à des rythmiques guyanaises, y incorporer des cadavres exquis surréalistes, des impressions sans cesse fugitives mais infiltrantes.

Parfois, vous penserez aux productions du Label Le Saule, Léonore Boulanger, JD Botta, June et Jim mais ici avec un zeste de R’N’B bien modernes à des saudades insulaires. De ce melting pot improbable se dégagent ces bleus azurs si proches des musiques brésiliennes vers lesquels on revient sans cesse (Milton Nascimento en tête). Quelque part à la lisière de plusieurs pistes, de plusieurs tonalités, une fusion des envies pour une confusion des sentiments. Malheureusement, comme je connais certains d’entre vous, la seule évocation de ces musiques ensoleillées arrêtera certains de vous bien trop plantés dans une dimension austère de la chose musicale. Ceux qui auront cette crainte auront bien tort tant il se dégage de ces titres une envie flagrante de liberté, de décloisonnement comme une brise qui souffle de la jungle.

Cayenne, la nuit, la rumeur de l’Amazone au loin, nous nous rêvons habitants premiers de ces territoires. Les vestiges du bagne non loin bouffés par la végétation. Encore un peu plus loin à l’ouest, les bruits des réacteurs de la fusée Ariane sur son pas de tir. Les miroitements des flammes qui agonisent dans l’eau du fleuve.Au dessus de nos têtes, le ciel de l’hémisphère sud. La nuit qui bruisse de milles bruits.

Une buvette le long de la plage. Depuis déjà bien longtemps, les touristes harcelés par les moustiques et harassés par le trop plein de la chaleur de la journée passée ont délaissé les plages et s’abritent dans leurs chambres d’hôtel avec le climatiseur qui ronronne au diapason des ronflements satisfaits. La buvette, elle, se réveille, ce vieux monsieur au regard édenté comme une carte postale de l’ile du Diable avec le rhum bien trop arrangé dans son verre sur son coin de comptoir habituel. Un pêcheur tire sur l’écheveau de l’histoire qu’il raconte tous les soirs et que personne ne daigne plus écouter. Entre les entrechoquements épileptiques des verres, la monochromie des voix, le craquement du plancher, la litanie des vagues, monte doucement vers nous du Pick up usé la voix de Weli Noël. Pour quelques minutes, petit européen égaré, comme l’intrus d’un jeu d’erreur, je suis de ce troupeau là, de ces gens au spleen sans alphabet.

Weli Noël - La goyave - Le clip de Cédric Dupire from Weli Noël on Vimeo.