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Quelques heures après leur splendide concert à la Chapelle Saint Jacques dans le cadre du festival des Rockomotives 2016, nous retrouvons le duo Anthony Laguerre (batterie) et Émilie Weber (violon) pour parler du concert, de leur dernier album, de la liberté…

ADA : C’est votre 1e fois aux Rockomotives ? Connaissiez-vous déjà ce festival ? En tant que spectateur ?

Emilie Weber : oui, c’est la 1ère fois que l’on joue ici.

Anthony Laguerre : c’est la 1ère fois sur le site, mais en fait on a joué à Bourges en 2010, on a échangé avec Richard [Gauvin – programmateur des Rockos - NDLR], on a essayé de caler des choses en 2011-2012, on n’a pas vraiment réussi. Puis on s’est retrouvé au Temps Machine en 2015 (à Joué-les-Tours), Richard était là, et à la fin du concert il m’a dit : « Pourquoi je ne vous ai pas programmé avant ? Vous venez l’année prochaine ! » (rires).

EW : On avait changé de formule aussi, à Bourges c’était en duo, ce n’était pas pareil, on était tout frais, tout petit. Là on est à 5, avec un chanteur, ça change.

ADA : Quel est votre ressenti par rapport au concert de cet après midi et le fait que le public soit assis ?

EW : Public assis, en plein après midi : la totale, sachant qu’on est filmé en plus… Bon, on va faire comme si il était onze heures du soir !

AL : Le gros point positif c’est l’écoute. Quand tu joues une musique comme ça, qui a besoin de dynamique, de nuances, où les envolées font partie de la musique, où tu es obligé d’avoir cette dynamique, là tu peux l’avoir parce qu’il n’y a pas un bruit dans la salle, c’est top.

EW : Il y a peut être moins l’énergie que le public peut amener, j’ai senti à un moment donné qu’il manquait un truc, mais bon.

ADA : Par rapport au concert du Temps Machine, nous avons trouvé ce concert beaucoup plus contrasté.

AL : ça vient du lieu, c’est une chapelle, le son englobe. Dans une salle comme le Temps machine, qui est super aussi, le son est plus sec, il faut tout faire à la console. On avait aussi notre ingé son là-bas comme ici. Mais ici, sur le plateau, on sent la salle, comment elle résonne, elle vibre, on ne joue pas de la même façon. Quand tu fais un tout petit truc, ça ne réagit pas pareil, on est dans un volume, et on a pu faire résonner le volume. Dans des SMAC, ou des salles très sèches, le volume est mort en fait, il n’y a pas d’acoustique, il faut tout recréer à la console.

ADA : Il y avait certaines fins que l’on entendait résonner, c’était wahou !

AL : alors qu’avec une acoustique plus sèche ce n’est pas la salle qui va résonner, ce sont les enceintes.

ADA : Et alors l’acoustique de cette salle ?

AL : personnellement, j’ai adoré.

EW : Pour moi c’était un peu étrange, mais ça vient plus du fait de jouer l’après midi que de l’acoustique.

ADA : Pouvez-vous faire une rapide présentation de votre projet, date de création, parcours musical ?

EW : le projet est né en 2007, en duo. On s’est rencontré sur une émission de radio et on a décidé de jouer ensemble, tous les deux. Et puis après on a invité des gens à jouer avec nous.

ADA : Justement, dès le 2e album, vous ouvrez à d’autres musiciens. Quelle est votre façon d’appréhender ces collaborations ?

AL : les quatre 1ères années on a tourné en duo, la 1ère collaboration que l’on a fait c’est avec Filiamotsa Soufflant Rhodes, avec un tromboniste, un saxophoniste et Véro au clavier et qui est là ce soir. C’était le 1er pas vers une extension, ensuite on a rebossé en trio avec un violoniste avec lequel on a composé "Like it is". Nos projets se sont toujours nourris de rencontres. On a écrit quelque chose avec Philippe Orivel [violoniste - NDLR] que l’on a réinjecté dans "Soufflant Rhodes", puis avec "Soufflant Rhode"s on a écrit des choses que l’on a réinjecté dans Filiamotsa trio, et ensuite la création que l’on a mené de front de A à Z en sachant exactement ce que l’on voulait c’est l’album "Like it is". On a composé des morceaux et tout de suite on est allé chercher la personne qu’il fallait pour le morceau, qui pourrait amener ce qu’il faut au morceau. Sur "Sentier des roches" on a déjà collaboré avec un orchestre à cordes, contrebasse, alto, violon, violoncelle ; on a refait l’expérience avec "Like it is". Sur "Like it is" il y a une douzaine de musiciens qui interviennent.

ADA : Quelles sont vos envies de futures collaborations ? Avec quels musiciens souhaiteriez-vous jouer (même en rêve) ?

AL : on sait qu’on veut refaire un trio avec G.W. Sok le chanteur actuel, en mode plus poésie. On sait aussi qu’on veut recomposer un album comme "Like it is", pas forcément dans la même lignée artistique, mais on veut fonctionner de la même manière : composer à deux puis rêver d’une personne. Je crois que ce qui va changer ce sera qu’on va se permettre d’aller chercher des gens qu’on ne connaît pas forcément, mais que l’on a envie d’entendre sur le disque, mais je n’ai pas encore de noms, ça se fera au fur et à mesure. Jusqu’à maintenant, tous les gens qui ont joués sur les albums, on les a rencontré humainement avant, comme Olivier [Mellano - NDLR] ou G.W. Sok. Tous les deux nous ont vus et entendus et nous ont dit que cela leur plaisait. Olivier nous a déjà invité sur un projet à lui : la Superfolia, c’est comme cela que l’on s’est rencontré. G.W. Sok nous a vu jouer avec "Soufflant Rhodes", il a aimé et on s’est dit pourquoi ne pas faire de la musique ensemble. Le résultat de toutes ces collaborations depuis 8 ans a donné "Like it is".

ADA : Le dernier album "Like it is" est sorti sur le label (américain) Aagoo, vous pouvez nous en dire plus ?

AL : Julien de African Tape fait notre com’ depuis 5 ans. Il a mis African Tape en stand by pour le moment, mais par contre il a décidé de travailler avec ce label Aagoo pour toute la partie européenne. Il nous a proposé auprès de Alec, le directeur de ce label, il a aimé et du coup on a fait le disque. "Like it is" est distribué en Europe, aux Etats Unis et au Japon. Tourner au Japon ce serait monstrueux, mais après c’est une question de budget.

EW : Pour le moment on tourne en France, en Europe jusqu’aux pays Baltes, l’Ukraine, les pays limitrophes, comme l’Italie mais jamais l’Angleterre. Quand on était en duo au début on a tourné au Canada, aux États-Unis. On n’a pas fait l’Amérique du Sud, mais j’aimerais bien.

ADA : Pouvez-vous nous parler des vidéos des titres de "Like it is" ?

AL : il y a 3 vidéos et une 4ème qui doit arriver avec le même réalisateur Ishrann Silgidjian. Il y aura une vidéo pour chaque titre de "Like it is" avec un fil conducteur, une personne qui se balade avec un miroir ou une plaque de verre sur le dos. Ishrann est un ami, il est réalisateur, chef opérateur, il a projeté des vidéos sur la création de "Like it is" de ce personnage qui défile dans les rues. Pour la fin de tournée on espère réaliser un DVD pour lequel il a recomposé les travellings sur les morceaux de Filiamotsa, il va continuer ce boulot jusqu’à la fin de l’année, pour sortir cette vidéo sur un pack sur internet et après peut-être un DVD l’année prochaine, ça dépendra du budget.

ADA : Comment s’est faite votre rencontre avec G.W. Sok ? (Split EP avec Trunks en 2012 + dernier album)

AL : G.W. Sok apparaît sur "Sentier des roches", et le split avec Trunks reprend des morceaux de "Sentier des roches". Le label Les disques de plomb voulait sortir un split avec Trunks et il nous a proposé de faire ce split avec eux. "Sentier des roches" était déjà engagé avec Les disques de plomb, et pour promouvoir cela le split a été fait avec des morceaux de "Sentier des roches".

EW : On a rencontré G.W. Sok en 2011 sur un festival où l’on jouait avec "Soufflant Rhodes" et lui jouait avec Cannibales & Vahinés. Il a vraiment aimé notre concert, on s’est rencontré, on a échangé des disques, des livres, on a gardé le contact.

ADA : Vous réalisez des actions culturelles en direction de différents publics : pouvez-vous nous en dire plus ? (Oreilles Synchroniques : la musique avec des sourds) ? Et le ciné concert ?

EW : Pour Oreilles Synchroniques on a bossé avec des ados sourds non musiciens, on les a amené à faire de la musique de manière assez horizontale avec des instruments existants ou que l’on a inventés. On n’est pas allé dans la direction des vibrations ; on s’est rendu compte, qu’il y a une surdité par personne, ils ne sont pas tous sourds de la même façon, ils entendent quand même quelque chose chacun à leur manière. On était étonné car il y avait toujours une écoute d’ensemble et rarement quelqu’un qui était complètement à coté de la plaque. On a fait des tests auditifs grossiers pour savoir qui entendait quoi et puis ils sont allés aussi selon leurs affinités : par exemple il y en avait une qui était sourde profonde qui a utilisé un instrument plutôt frotté, plus physique. Un autre écoutait mieux les graves alors il a fait les basses, il a créé ses propres basses qu’il a réussi à tenir en rythme avec du groove. Chacun d’eux allait d’instinct vers ce qui les intéressait. C’était magnifique de bosser dans ce sens-là, de prendre ce qu’il y a de meilleur chez chacun, cela a fonctionné. Plutôt que de faire un truc putassier … il y a un mec de l’opéra de Nancy qui bosse avec l’institut des jeunes sourds cette année, il amène de grosses percussions, c’est intéressant aussi, il bosse sur les vibrations, mais nous on voulait bosser autrement, faire une vraie création musicale.

AL : La grosse différence, ce qui a bien marché dans ce projet c’est qu’on les a mis au même niveau que nous. On est rentré en studio et on a créé tout tous ensemble. On les a guidé évidemment.

EW : On leur a fait l’éveil musical.

AL : On s’en foutait du handicap. Ce projet venait en réaction à un autre projet qu’on avait vu quand je bossais à l’institut des jeunes sourds avant de me lancer dans la musique, j’étais prof là-bas. Un jour j’ai vu un spectacle orienté pour les sourds et je me suis dit que ce n’était pas possible. Ce spectacle orienté pour les sourds ne parlait qu’aux entendants et les sourds ne captaient rien ; je voyais une monnaie d’échange pour vendre le spectacle soi-disant pour sourds, qui tournait dans tous les festivals et ça m’a méga énervé. Du coup on s’est dit qu’est ce qu’on peut faire ? Là sur notre projet on est rentré en studio, on a tout composé ensemble, la scéno, la musique, c’était un vrai échange.

EW : on a fait plusieurs concerts en Lorraine.

AL : une vingtaine de concerts, ça a duré 2 ans avec les mêmes élèves, toutes les semaines pendant 2 ans, et ça a débouché sur 2 spectacles, un par année. Et on s’en foutait que ce soit un spectacle pour sourds ou pour entendants. Quand tu interprètes un texte en langage des signes sur un plateau, au bout de 4 mètres le message ne passe plus, toute sa finesse, sa poésie n’existe plus, alors autant mettre des mots. Ils sont là sur scène, ils jouent. Si les gens entendent le propos tant mieux, sinon tant pis. Pour le ciné concert, on n’a plus de dates pour le moment. Mais il est là, il existe. On ne l’a pas encore beaucoup développé, et puis on aimerait pouvoir bosser aussi sur d’autres films, mais c’est souvent compliqué pour avoir les droits. Alors on se ménage et on verra quand ce sera le moment de plus développer cela.

ADA : Votre dernier coup de cœur musical ?

AL : le dernier concert que j’ai vu c’est celui des Swans, ça m’a démoulé ! (rires) Et Will Guthrie, aussi.

EW : Moi j’aurais aimé voir les Guns N’Roses en concert. Ils se sont reformés mais il paraît que ce n’est plus bien. Le dernier truc qui m’a vraiment plu c’est pas de la musique, c’est Sébastien Gantek [orthographe incertaine - NDLR], c’est un solo en impro avec de la poésie, il raconte sa vie, tu rigoles, tu chiales en même temps, ça m’a hyper retourné. Même en musique ou dans la vie personne ne m’a retourné comme ça. C’est une performance théâtralo-musicalo-poétique… incroyable que j’ai vu il y a 3 ans. C’est rare de voir de belles choses comme ça.

AL : Dans le même esprit, pour sortir de la musique, il y a Pierre Meunier. Il s’est mis en scène et passe une heure à faire une pièce de théâtre avec un tas de caillou, et le sujet c’est le tas. C’est complètement hallucinant.

ADA : Est-ce que cela vous inspire, vous nourrit pour votre musique ?

EW : Le grand mot depuis toujours c’est la liberté. Quand tu vois des gens qui donnent, même dans la vie, ça inspire, des gens qui te libèrent. C’est aussi une question de rencontres. On fait de la musique mais c’est un prétexte à respirer.

AL : Quand j’ai vu Pierre Meunier, j’ai eu envie de faire ça en musique. De donner la même ouverture, la même puissance, la même profondeur, la même intelligence. Pour moi les Swans y arrivent, c’était aussi puissant.

ADA : Quelque chose à rajouter ?

EW : j’aimerais dire un truc politique. Je pense qu’on arrive au fascisme sérieusement et que ces espaces de liberté sont de plus en plus précieux.

Site web : http://filiamotsa.com

Photos : Jérôme Sevrette

Retrouvez l’intégralité des photos et l’ensemble des travaux de Jérôme sur son site :

www.photographique.fr



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