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Pour en finir avec les poseurs à pulls rayés de Radio Elvis ou les Lautréamont bêlants de Feu ! Chatterton, nous avons encore la chance ici, quelque part en France, quelque part en Europe, d’avoir un groupe de rock en activité, comme on le dirait d’un vieux volcan, le dernier, qui sait. Mais ce n’est peut-être pas du rock. Il se peut que ce soit du hip-hop, ou même du slam, ou, pire, de la chanson française, ou tout ça à la fois. En tout cas ça décape sec et ça passe nos idées reçues au chamboule tout.

Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pires n’ont pas lâché le morceau. Au contraire, nous sommes au cœur d’une véritable histoire d’amour passionnée avec la planète terre, la planète des singes, avec des références, avec des idées, avec des connections entre le cœur et le cerveau, tout simplement. Bouaziz nous y parle de la beauté du monde, ou de ce qu’il en reste, du côté de Tchernobyl, avec les yeux des bêtes sauvages qui nous observent depuis l’autre rive : « qui te regardent comme un objet, qui te regardent comme un animal étrange toi-même et, probablement, très mal habillé ».

Il nous parle de la vieillesse aussi. De celle des corps, de celle des villes, de celle des idées. Comme de la bonne vieille Europe, ou du cinéma français, qui se ride en même temps que ses icônes : « Jeanne Moreau, c’est quand même pas la même avant et puis après ? ».

Mais heureusement, il y a Romy Schneider, l’européenne, s’il en fut. Romy l’éternelle, qui fait figure de femme totale comme le dit si bien Bouaziz dans ces magnifiques premiers vers : « Est-ce qui il y a une femme plus belle que Romy Schneider dans les Choses de la vie à part Romy Schneider dans les flash-back du Vieux fusil ? ». Une des chansons d’amour les plus jusqu’au-boutiste qui soit. Puisque il y est question d’accompagner sa moitié jusqu’à la fin, voire au-delà : « Je serai en chaise roulante, les roues bloquées dans le sable, sur la plage » et plus loin : « Peut-être que tu m’aideras, dis, peut être que tu me débrancheras ? »

Il nous rappelle aussi que Paris est une ville de merde et en profite pour déboulonner la statue du commandeur Daniel Darc. Carrément méchant, mais tellement lucide, Pascal Bouaziz fait office de figure luciférienne dans ce monde tellement aseptisé, ce monde dont il faut repousser les limites pour qu’il devienne à nouveau acceptable, à nouveau vivant.

Mais quand tu aimes, il faut partir. Et pareil quand tu détestes. Ainsi la dernière chanson de l’album, « Partir », dit adieu dans le questionnement, au pied de l’escalator d’Orly, avec ou sans Bécaud d’ailleurs, mais avec le tapis roulant de la vie qui défile et qui avale son héros, arrivant in extremis à dresser fièrement le bilan de son passage sur terre : « être adulte, sortir tout seul de la merde et avoir des amis ».

Alors, Bruit noir, on ne vous dit pas « merci d’exister » mais simplement merci d’être et de bruire.