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  • 23 avril 2019 /
    Bruit Noir
    L’interview, Le Périscope - Lyon 07/03/2019

    réalisée par FLK & PAR

Rencontrer Bruit Noir est une expérience singulière : on se demande à quelle sauce on va être mangé, si l’humour dévastateur et l’ironie seront de la partie, si les questions seront à la hauteur des réponses, ou si on ne s’en fait pas un peu trop, parce qu’après tout, Bruit Noir, ce ne sont que 2 êtres humains avec leurs qualités et leurs défauts.

Toute l’appréhension est très vite balayée quand on se retrouve face à Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pirès, et qu’ils répondent, affables, sans détour. Non intégralement retranscrit ici : nos éclats de rires réguliers suite à leurs traits d’esprit, leurs réparties pince sans rire, toujours sans filtre. Il n’y a pas que le bruit qui est noir, l’humour aussi est grinçant à souhait.

À découvrir Absolument : Tout d’abord, quelle est la "bonne nouvelle" (dernier mot entendu dans le dernier titre du disque, annonce de la station métro Bonne nouvelle – NDLR) ?

Pascal Bouaziz : Que le disque est fini. Jean-Michel Pirès : Chacun peut l’interpréter comme il veut. Pour nous c’est vrai que finir ce disque a été un peu compliqué. Le cheminement était long. D’abord on a perdu la 1e version de l’album parce que l’ordinateur a crashé et je n’avais pas fait de sauvegarde. Donc il a fallu recommencer, ça a été la grosse galère du début. Et puis après, l’inspiration de monsieur (en montrant Pascal), par rapport au 1er qui a été fulgurant pour nous. Donc ça a été un soulagement de pouvoir passer à autre chose.

ÀDA : Dans le nouvel opus, le ton a changé, on sent une évolution. C’est plus direct, moins temporisé par l’humour. On sent moins d’autodérision aussi, comme il y en avait sur « Le requiem » par exemple. Vous avez besoin d’évacuer un trop plein de colère de façon plus brutale, frontale, en prenant moins de gant ?

PB : C’est marrant parce qu’à chaque fois qu’on a un retour sur l’album, c’est quasi un autoportrait des gens qui nous interviewent. Certains nous disent "Ah qu’est-ce qu’on rigole", et d’autres "Qu’est-ce que c’est déprimant, qu’est-ce que c’est noir…". Je pense qu’il y a encore pas mal d’autodérision et d’humour mais peut-être qu’il est moins "tongue-in-cheek" comme disent les anglais, il est peut-être un peu plus frontal. Mais il y a quand même de l’humour, quand je dis "Quand je serai dictateur mondial", c’est pas réellement vrai. Je ne sens pas tellement le contraste, c’est une continuité. Alors effectivement, à faire, il y avait plus de joie dans le 1er album pour nous ; celui-là était dans une humeur de construction un peu plus noire. J’ai sorti 3 albums en un an et demi (dont 2 avec Jean-Michel), tu as l’impression de lancer des petites bombes et en fait c’est plus des bouteilles à la mer qui font ploc… une sorte de grand désert. Donc du coup ça met un peu de tension, mais pourquoi ne pas s’en servir ? Tout est bon pour continuer à faire des trucs.

ÀDA : Vous vous adressez directement aux « professionnels des musiques actuelles », la presse, les festivals. Vous notez les chroniques que les médias font de votre album. Vous avez envie de changer les règles ? Secouer le cocotier de l’industrie musicale pour voir si il se passera quelque chose ou pas ? Vous nommez les gens…

PB : Eux-mêmes se mettent en scène donc on peut très bien les apostropher… en même temps je vois bien ce que vous dites et en même temps ça me semble… Attends (il prend 2 secondes pour réfléchir)… Oui, c’était l’idée que ce morceau ait un impact, justement. Dire que les gens en place ont des responsabilités, quand tu tiens un gros journal à gros tirage et où tu dis aux gens ce que c’est que le rock, tu as la responsabilité auprès de tous les gens qui en font, tous ceux qui en écoutent. Ça me semble être la responsabilité des journalistes d’être des passeurs. Quand ils ne passent rien, ou quand ils passent les Rolling Stones, peut-être qu’il faut changer de métier, il faut faire attaché de presse des Rolling Stones. En même temps c’est aussi du spectacle, on n’est pas là à croire réellement que ça va avoir un impact et qu’ils vont se réveiller le matin en se disant : "Mince, qu’est-ce que j’ai fait toutes ces années ? Je suis passé à côté de ma vie… c’est terrible".

ÀDA : Et alors, maintenant que la machine promo est lancée, l’album sorti, les flèches lancées… il se passe effectivement quelque chose de différent ? Vous avez eu des retours des « professionnels de la profession » ? Le Printemps de Bourges ne vous a pas contacté ?

JMP : Non, les festivals sont toujours frileux à notre égard. Sinon, pour l’instant rien de plus. On est sur le même cheminement que le précédent, on avait eu à peu près la même revue de presse. Peut-être qu’il y a plus de visibilité sur celui-là. Nous en tout cas on n’a que des retours bienveillants. Comme on n’a pas de réseaux sociaux (Ah bon ? NDLR), on nous dit : "Vous avez vu la polémique sur Daniel Darc ?" Ah non. On nous en parle mais ça n’arrive pas jusqu’à nous.

PB : Les retours sont plus que bienveillants de la part d’autres chanteurs et d’autres chanteuses, comme un truc de soulagement. Ils disent "Ah merci, ça fait du bien !"

JMP : De toute façon on n’a rien à perdre, ce projet, la règle c’est qu’il n’y en a pas, donc pour nous y a rien d’exceptionnel dans ce qui est dit, dans ce qu’est le disque.

PB : L’humour, la mauvaise foi, la colère, ce sont des choses qu’on a au quotidien : on est à la fois en colère et à la fois on relativise, à la fois plein de mauvaise foi et d’humour, donc tout passe dans le disque, il n’y a pas de filtre dans Bruit Noir.

ÀDA : Vous avez eu des articles dans la presse nationale les Inrocks, Magic, le Télégramme, Télérama, l’Obs , l’Humanité, dans les radios nationales (France Culture), une date parisienne (le Point Éphémère) qui a affiché complet…

JMP : Oui, ça fait très plaisir à l’équipe qui nous entoure, la maison de disques était très contente.

PB : C’est le Point Éphémère, hein, on n’est pas aux victoires de la musique…

ÀDA : C’est quoi le succès pour toi ? Où est le curseur ?

PB : Je crois que pour un chanteur, un musicien, un artiste, le succès c’est quand il vit de sa pratique, pour l’instant moi je n’en suis pas encore là. Il y a une belle phrase de Leonard Cohen qui dit : "Success is survival". Pour le coup on est des survivants ça c’est clair ; à cette aune-là, on a du succès, et puis on continue à faire des trucs, alors qu’il y en a plein qui ont lâché. Et c’étaient pas des mauvais, alors que des mauvais qui continuent, y en a pas mal. C’est là aussi la responsabilité de la presse et de la critique : que des gens qui faisaient des trucs de très grande qualité aient arrêté, et que ceux qui font de la très piètre qualité continuent. On n’est pas dans un monde d’une grande justice en même temps, c’est comme ça.

ÀDA : Votre label Ici d’ailleurs vous laisse carte blanche sur vos albums ? Quelle a été leur réaction à l’écoute du dernier ?

JMP : On leur a transmis les bandes. Ils ne s’attendaient pas à autre chose que cela.

PB : L’attaché de presse du label a été un peu circonspect, surtout quand il a vu qu’il allait falloir qu’il vende "Le succès" auprès des journalistes.

JMP : Quand Stéphane (Grégoire) du label signe des gens, il sait qui il a en face, ce que l’on va lui proposer. Il ne revient donc pas vers nous en disant, « Ohlala, peut-être que là non… ».

PB : On lui fait une proposition d’album, et il fait ensuite des choix sur celles à garder, celles dispensables ou à garder pour plus tard, c’est son travail de directeur artistique. On lui fait une proposition assez claire avec quelques options, c’est l’auditeur premier et le plus important, parce que si cela ne lui plait pas, même si il nous fait confiance, on va être bien emmerdé pour trouver un autre label. Des labels comme le sien, en France, il n’y en a pas quinze mille. Il a écouté et puis il nous a dit que c’était bien, qu’il était content. Enfin je crois que c’est cela, je ne suis même pas sûr qu’il ait dit qu’il était content (rires).

JMP : Stéphane était très content que la date parisienne soit complète.

PB : Ça fait quand même une tripotée d’années qu’on bosse ensemble, avec Mendelson. Il a sorti mon album solo, le 1er album de Bruit Noir, il a bossé avec Jean-Michel pendant des années. Ce sont des relations de confiance, au-delà du travail, Stéphane Grégoire est un soldat. Nous aussi quelque part on essaie de faire les meilleurs albums possibles pour que cela puisse continuer.

ÀDA : La musique nous semble un peu moins mélodique que sur I/III, plus en retrait. Est-ce pour laisser plus de place au texte ? Est-ce voulu ?

JMP : C’est marrant parce que sur le 1er il n’y a pratiquement que de la batterie et de la voix et un peu de cuivres, les mélodies n’étaient pas ce qui dominait. On avait poussé au plus loin ce que l’on pouvait faire avec cette formule-là, on n’allait pas faire une redite. L’idée du premier tournait autour de la batterie et la voix, cela faisait un peu rêche donc on a rajouté quelques cuivres pour lier le tout, mais c’était avant tout un travail autour de la percussion, du rythme et Pascal là-dessus a trouvé sa place. Pour le deuxième, Pascal avait des envies de sons plus électroniques, de s’éloigner de ce que l’on avait fait sur le précédent. On n’a pas de cahier des charges particuliers avec Bruit Noir, cela aurait pu être du jazz, du folk…

PB : Il faut quand même que chaque album ait une couleur particulière. Sur un même album on ne peut pas se lancer sur un morceau folk, puis un autre plus métal indus…

JMP : Il nous faut trouver l’idée. Comme le 1er était très joué, je me suis dit que sur le deuxième cela n’allait être que du sample avec en ligne de mire l’album d’Iggy Pop ‘The idiot’. Pour essayer de retrouver cette ambiance qui se dégage du disque, un peu claustro, un peu noir.

PB : Une ambiance un peu hangar. Un peu Berlin l’hiver.

JMP : Ça a été la ligne directrice. Je ne sais pas s’il y a plus de place pour la voix. Je fais la musique d’abord, puis j’envoie la musique à Pascal pour voir si les instrus l’inspirent ou pas. C’est lui qui décide ce qu’il garde ou pas. Quand je fais la musique, je ne pense pas à la place de la voix, c’est donc plus lié au hasard, si tu as cette impression.

PB : Ceci dit on avait mixé nous-mêmes le 1er album sans trop de regards extérieurs, sans forcément penser à monter la voix, alors que le 2nd a été mixé par un ami, François Marché, qui a dû avoir un regard plus critique et privilégier certaines choses comme la voix.

ÀDA : Jean-Michel, tu dis que tu envoies le son que tu crées avant à Pascal, mais pour Paris et Joy Division comment ça s’est passé ? Il y a des allers-retours ?

JMP : Alors pour être précis, Paris c’est la seule commande de Pascal.

PB : Il y a "Adieu" aussi sur le 1er album où j’ai commandé une musique.

JMP : Oui, mais c’était plus libre, il voulait un truc ultime. Mais Paris on a gardé la structure du morceau original.

PB : Donc effectivement il y a des allers-retours, mais même quand il m’envoie de la musique et que ça m’inspire un texte il faut que la musique s’étende un peu.

JMP : Joy Division, par exemple, la musique a été faite et envoyée comme ça, sans parole, sans commande, et ça l’a aiguillé là-dessus, si je ne me trompe (rigolard).

PB : Par association d’idées (idem).

ÀDA : Dans la chanson Paris, vous touchez au « sacro saint » Daniel Darc. Ce qui a fait réagir plusieurs personnes de notre entourage qui ont eu du mal à comprendre pourquoi. C’était fait sciemment ? Pourquoi Daniel Darc ? Est-ce parce que finalement il n’y a pas d’icônes, juste des êtres humains ?

PB : Heureusement qu’on n’a pas fait un morceau sur le Christ… Si je pars pour écrire un morceau sur Paris, pour moi, dans ma bibliothèque mentale sur Paris, il y a la chanson de Taxi Girl. Daniel Darc, on l’a croisé, il fait partie du monde de la musique comme Beauvallet, Manoeuvre, etc. Du coup, l’association d’idées elle se fait tout de suite pour moi si je veux écrire une chansons sur Paris, de faire une référence à cette chanson-là que j’aime beaucoup, en particulier. Et comme je peux être de mauvaise foi, ou très franc, ou très méchant… ce sont des choses qui ne se disent pas normalement ; mais quand il y a des musiciens entre eux dans un camion, ça balance sur les collègues. Je dois dire que je ne me suis pas posé de question au moment où j’ai écrit la chanson, justement, je dis ce que je pense. Pour moi c’est une vision assez véridique des choses telles que je les ai ressenties moi. Après je ne dis pas que tout le monde va penser la même chose que moi. Je l’ai vu comme ça, à la fois celui qui a écrit ce texte que je trouve super, et à la fois dans des états pas possibles. Et puis tout le monde l’a vu comme ça, c’est pas un secret. On peut dire "Faut pas y toucher", mais pourquoi pas, tout est possible. Sans faire de comparaison hâtive, j’ai du mal à imaginer qu’on ait dit à Thomas Bernhard : "Dis donc, t’as dit du mal du directeur de théâtre… euh". C’est pas le sujet, c’est soit la chanson est bien, elle évoque des trucs, soit elle est ennuyeuse. Je ne crois pas qu’elle soit ennuyeuse puisque les gens ont beaucoup accroché. J’ai croisé Daniel Darc 3-4 fois, on a fait quelques dates ensemble, mais les gens qui l’ont connu de très près ne sont pas du tout offusqués. Il y a même des amis à lui qui disent des choses beaucoup plus sanglantes et en même temps amoureuses de lui. C’était un personnage qui était très double, très trouble, très charmant, très chiant, comme tout le monde. En fait je trouve ça marrant. Il suffit de regarder des films de concerts de Daniel Darc et l’affaire est close. Les gens qui adorent Daniel c’est super, pas de souci… et puis ils ne sont pas obligés d’écouter le morceau. Je pense que c’est clair quand t’écoutes Bruit Noir que le mec il est pas là en train de croire qu’il dit la vérité. Enfin, je crois. Et puis effectivement, cette chanson-là m’a beaucoup plu, je trouve que c’est un très grand texte, et des gens qui ont écrits des très grands textes en France, il n’y en a pas non plus quinze mille. Et donc quand il chante des choses qui ne m’intéressent pas du tout, je ne vois pas pourquoi je prendrais tout. Il y a des trucs que j’aime bien, il y a des trucs que j’aime pas, chez les gens. Gainsbourg, je ne supporte pas Gainsbarre, ça me débecte, mais Gainsbourg a fait de très très grands albums. Je ne vais pas dire, parce qu’il a fait de grands albums, que quand il brûle un billet de banque, je trouve ça super : ça me dégoûte. Pour moi c’est intéressant, parce que c’est à l’aune de ce que transmettent la plupart des disques, tu les écoutes, ça fait psschhittt, tu ressors t’as rien entre les mains, c’est peut-être un moment agréable mais c’est tout. On n’est pas obligé de ne sortir que des disques Kleenex, on peut sortir des trucs qui transmettent des sentiments pas très nobles ou pas très sympathiques, ou des choses qui sortent un peu de l’ordinaire. La chanson française n’est pas obligé d’être de la touching pop un peu con-con, quoi, merde. Après je peux adorer des disques de pop où je ne comprends rien aux paroles…

Mais ça montre que la plupart des gens qui écoutent de la musique sont un peu en train de dormir parce que là d’un coup si ça fait un tel effet, il faut que les autres disques autour changent…

Pour revenir sur les réactions parfois très violentes, ça me fait rigoler, les gardiens du temple. "- Ah je savais pas qu’il y avait un temple ? - Ah ben si, on est les gardiens. - Bon, ok." C’est marrant. Quelque part, je pense qu’on a fait du bien aux gens. Des gens qui voyaient leur icône absolue d’une manière un peu différente, ça leur a décalé le point de vue, je pense que ça va leur re-servir. Une autre manière de voir le monde, c’est bien !

JMP : Mais est-ce que les gens sont vraiment choqués ?

ADA : Oui, oui.

JMP : Faut qu’ils viennent nous voir, on en a marre de la bienveillance. Les mecs qui ne sont pas contents ne viennent jamais nous voir. J’étais trop jeune pour Taxi Girl, donc moi je n’ai connu Daniel Darc que dans les années 90, et je le voyais toujours comme dans la chanson, donc j’ai du mal. La dernière fois que je l’ai vu c’était avec Diabologum à la Cigale, et il n’allait pas bien. On ne va pas mentir aux gens.

PB : C’est vrai que normalement on ne tire pas sur une ambulance…

JMP : Après il semblait aller mieux, il a refait des disques, tant mieux.

PB : Nan mais on n’aurait pas dû… Tu sais y a des mecs qui sont prêts à vendre leur mère pour une blague ; pour une bonne chanson on est prêt à beaucoup de choses. Je pense que c’est une bonne chanson parce qu’elle mélange Paris, Daniel Darc, mon fils, Cherchez le garçon, et parce que tout ça c’est ensemble. Si c’était juste une chanson qui s’appelle Daniel Darc, ça n’aurait pas grand intérêt. C’est la concaténation de tout ça qui rend la chose intéressante, à mon avis.

ÀDA : Après Joy Division dans le I, Daniel Darc dans le II, vous avez déjà une petite idée sur qui vous rendrez "hommage" (ou carnage) pour le III/III ?

JMP : Une parenthèse sur Joy Division : on a lu les bouquins, et on n’était pas dans le faux. Peter Hook voulait faire du punk, boire des bières…

PB : Il dit lui-même qu’il passe complètement à côté du mec (Ian Curtis, NDLR), qu’il n’a rien compris à rien. À la première tentative de suicide, ils sont en colère contre le mec, ils ne comprennent pas… ça a dû être un drame pour lui. En même temps c’étaient ses potes, mais quand ils ne comprennent rien à rien de l’endroit où tu es dans ta tête…

JMP : Donc là-dessus il n’y pas de polémique sur Joy Division et les gens qui l’entourent parce que Peter Hook lui-même va plus loin que nous sur toute cette période, sur comment ils étaient : ils ne pigeaient rien. Martin Hannett (producteur artistique, qui expérimentait beaucoup en studio - NDLR) faisait les disques, et les autres disaient : "Qu’est-ce que c’est que cette merde ?" Ils se foutaient des paroles de Ian Curtis.

PB : La seule chose qui était importante pour les autres, c’était "Quand on était sur scène, Ian Curtis chantait bien, il avait de la patate dans la voix". Donc, voilà, tu vois, Bruit Noir dit toujours la vérité. Si ça se trouve, sur le 3e, on ne dira du mal de personne. Mais les gens seraient frustrés.

JMP : Ce sera peut-être que de l’amour, que du feel good, il faut finir cette trilogie, mais on n’y a pas réfléchi encore. Faut pas y penser sinon ça va nous miner.

PB : On a d’autres albums à sortir avant celui de Bruit Noir.

ÀDA : En parlant d’amour, la chanson « Romy » est une très belle chanson d’amour, qui aurait presque pu figurer sur un album de Mendelson…

PB : Non, c’est pas l’idée de faire du Mendelson dans Bruit Noir. Encore une fois c’est quand même une chanson d’amour de Bruit Noir : ça parle de ne pas vieillir, de se suicider avant d’être vieux, des couches confiance, de la perte de son cerveau et de se mettre à voter au centre.

JMP : C’est une chanson d’amour, mais inconfortable.

PB : Ce que devrait être l’amour. (silence) Wow ! (suivi d’une expression d’admiration générale avec une pointe de dérision)

ÀDA : Mais justement, ça peut être la chanson d’amour ultime, qui parle aussi des choses qui ne sont pas glorieuses…

PB : Chanson d’amour ultime, ça me plait beaucoup, ça peut être le titre de ton papier, là : "La chanson d’amour ultime" !
C’est un truc que je me dis depuis quelques années, combien de chansons d’amour va pouvoir écrire Dylan ? Il parle toujours de cœur brisé, il doit avoir 75 ans… et il a encore le cœur brisé, mais bon, tant qu’il écrit de bonnes chansons… Ah, Dylan, faut que je fasse gaffe…

JMP : Y a un dossier, sur la pile, mis avec les autres…

PB : Mais Dylan tout le monde va s’en foutre. Là sur Paris, je balance des choses qui me semblent importantes, mais tout le monde ne parle que de Daniel Darc. La vulgarité du fric, etc., personne ne nous en parle.

ÀDA : Oui, ça saute aux yeux, notamment quand on n’est pas parisien… d’ailleurs, on s’est bien reconnu dans La province aussi, faut avouer. (rire général)

PB : Elle est pour vous cette chanson…

JMP : Une chanson d’amour, c’est que des lettres d’amour envoyées à tout le monde.

ÀDA : Pascal, il semblerait qu’à un moment, peu avant la sortie de l’album, tu aies décidé de "Partir" comme dans le dernier morceau, que tu aies franchi le cap : qu’allais-tu chercher ?

PB : C’est une des dernières chansons que j’ai écrites pour l’album, je savais que j’allais partir, donc c’est une lettre de départ. Là pour le coup il n’y a pas tellement de fiction, c’est exactement ce que j’ai pensé à ce moment-là. Si tu sais ce que tu vas chercher, c’est pas la peine d’y aller.

ÀDA : Jean-Michel, pourquoi un panda ?

PB : Ah, c’est bien, ça (sourire goguenard).

JMP : Ah ! On avait prévu de faire des photos de presse, le photographe venait à Paris, on avait rendez-vous ce jour-là, et dans ma tête je me disais, on va pas refaire des photos tous les deux, contre un mur… et un matin je me suis réveillé : "Il me faut un costume de panda". Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, donc j’ai cherché un costume de panda, j’en ai trouvé un, je l’ai mis, ça devait être des photos de presse, et quand Stéphane a vu les photos, il a dit : "C’est la pochette de l’album". Un petit moment d’hésitation, on n’avait rien d’autre à proposer, OK, c’est la pochette de l’album. Donc le panda devient l’emblème, mais il n’y a pas de raison particulière. C’est juste pour sortir du cliché…

PB : C’est marrant, le panda est un animal qui a une cote d’amour hyper importante, or il paraît que c’est un animal très méchant… c’est marrant.

JMP : Ça colle bien avec Bruit Noir, "tout doux, mais non".

PB : Espèce en voie de disparition, mais c’est peut-être pas plus mal (rires mi-offusqués de notre part), peut-être qu’il mérite de disparaître…

ÀDA : Il fait quand même partie des animaux sauvages…

PB : Ah oui, c’est vrai, mais on change de chanson, là, et quand on change de chanson, on change de monde, donc on ne défend pas les mêmes choses.

JMP : J’ai pas grand-chose à vous dire de plus, encore une fois la règle c’est qu’il n’y en a pas.

PB : Quand tu travailles avec Jean-Michel, il faut faire avec… on a fait une série de clips sur le 1er album, dans tous les clips il y a un petit objet, une mascotte qui appartient à Jean-Michel, et quand tu parles, il répète ce que tu viens de dire, c’est un sampler.

JMP : Il n’y a aucune raison, c’est juste pour que les gens se posent la question, et qu’ils trouvent eux-mêmes une signification. Aucun sens. Essayer de décaler le contenu avec l’image.

PB : Ça fait 22 ans qu’on fait des photos, quand on te dit, on va faire une séance photo, un moment ça devient dégoûtant…

JMP : On avait déjà l’idée du métro, parce que Pascal était dans le film "Buffet froid" à cette époque-là, donc on est allé dans le métro, on a essayé de retrouver cette ambiance, et tout s’emboîte parfaitement, c’est ça qui est fascinant au final. Le métro, le panda, le disque, comme dirait l’autre : "Tous les feux sont au vert !" (rire général)

ÀDA : Quelle est l’idée des intermèdes dans le métro ?

PB : Bruit Noir, tu es dans la tête d’un mec qui est un peu spécial, et quand la musique s’arrête, tu ne sors pas de la tête. Et tu fais tout le voyage bloqué en face d’un mec dans le métro, qui délire, ou qui dit des choses qui lui tiennent à cœur, donc ça ne s’arrête pas. J’avais pas envie d’avoir des silences, je ne sais pas pourquoi. Là encore, pas envie de faire des photos sans faire un truc nouveau, et entre les titres, je trouvais que c’était une bonne idée. Et puis c’est un disque dont la plupart des idées de morceaux sont venues dans le métro, aussi : dans Paris, je parle du métro, et c’est un disque assez claustro, assez angoissé, l’oppression du monde contemporain, des images publicitaires, ces millions de visages que tu croises. Comme disait Léo Ferré (qui n’était pas le denier à avoir des défauts) : "Toute cette tristesse qui se lève le matin à heure fixe". C’est une belle phrase. Rester dans ce monde, là.
Aparté de Pascal Bouaziz : "T’as vu la citation de Léo Ferré, pas mal, hein."

ÀDA : Quelles sont les actualités en dehors de Bruit Noir ? Club Cactus par exemple ?

PB : Jean-Michel tourne partout dans le monde entier, là…

JMP (se racle bruyamment la gorge) : Effectivement, j’ai un projet qui s’appelle Club Cactus avec Anthony Laguerre, c’est un projet à deux batteries pour rester dans un truc encore bien particulier, Pascal chante d’ailleurs sur un morceau, et d’autres invités sur d’autres titres. Sinon je tourne avec les Married Monk, on a sorti un album l’année dernière, le temps élastique fait que nous sommes encore en train de tourner sur ce disque. Et monsieur a aussi des petites choses sur le feu, non ? T’écris pas des chansons pour toi, pour… ?

PB : Non, pas en ce moment.

JMP : Bon, Bruit Noir alors. Il apprend ses textes, pour les concerts.

PB : Il faut bien que quelqu’un se souvienne des textes, les gens ne les connaissent pas encore par cœur. Bon, il y a quand même un travail d’editing, les textes viennent dans le désordre, il y en a toujours trop, donc on coupe. Du coup je me souviens des coupes. Brassens racontait ça aussi, "Les gens se souviennent mieux des paroles que moi", mais bon, moi c’est pas encore le cas, parce que je pense à toutes les choses que j’ai enlevées. C’est pas une mince affaire.

Quelques heures plus tard, le concert au Périscope à Lyon confirme le charisme indéniable des 2 lascars, s’interpellant régulièrement, nous interpellant (la Province, on en a pris pour notre grade, hilares), nous faisant chanter sur Collabos, palabrant sur les autres concerts du soir dans le secteur, etc. Voir Bruit Noir sur scène relève plus du happening que du concert : on ne sait jamais trop ce qui va se passer ni se dire, mais on est sûr de ne jamais s’y ennuyer.

Remerciements : Le Périscope, Jean-Philippe Béraud