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Je l’ai toujours dis et j’en suis sur, on est vierge à chaque fois que Murat ouvre ses recueils d’onirisme.

Pour bien écouter Murat, quand on est sur le parvis de son petit temple bucolique et non pas dans une pièce étanche de nos solitudes urbaines, les oreilles lavées de tout, venant de voir le jour, pour bien l’écouter, il faut s’assoir sur la barrière de bois qui délimite la foret de la cite, reconstruire ces odeurs d’herbes coupées où l’on s’allongeait après la fougue des jeux, et se laisser baigner par la lumière de ses petits blues chlorophylles, retrouver la beauté des nostalgies, une fois épurées des maux, retrouver le pouvoir des particules du temps qui flottent entre les regrets de sa voix et les recoins de sa musique.

Les concerts de Murat ne sont pas des fêtes, mais des cérémonies d’intimité offerte et ouverte, des rituels mains dans la mains, les yeux transperçant les yeux, entrer dans le champ privé comme de vieilles amitiés, et savourer tout ce qui se dit et a été vécu au moins une fois dans le bonheur. On est assis si proche de lui, que tout est parfait, le son sous-cutané, l’âme sous-marine, la profondeur du champ de vue, le trajet de chaque mélodie sur nos temps, la faiblesse puérile de Jean-Louis, qui s’avale comme une élégance, qui se dévore comme une fragrance, et cette impression furieuse mais silencieuse que tout ce que le poète dit, est biographie intérieure, ce que l’on cache, mais l’on sait.

Et il y a des merveilles à butiner, de ces fleurs qui naissent sous les pavés qui nous ramènent aux jardins de derrière nos maisons, de petites graminées qui ont déjà semé leurs souvenirs dans nos mémoires, et renaissent a chaque printemps nécessaires, dans le besoin, Murat. Et c’est ainsi que je l’apprécie, quand il manque, il ne faut jamais trop de Murat, cela gâcherait sa fragilité, Murat doit venir a point nommé, a pas de loup, quand le mur de la demeure est froid, quand nos mains vieillissent, quand nos regards adoptent le flou des monotonies, et ce concert, vient parfaitement au moment de la nécessité, qui est aujourd’hui comme il peut être a la fin, il n’a de temps, d’époque ni d’ère, sinon un passage d’yeux clos orientés dans nos dos. Vierge, vierge a l’abord de chaque phrase que la voix blessée, mélancolique et légèrement honteuse (ces enfants terribles qui n’avouent ni disent), car les textes a fleur de peau, au raz des champs, tissent pulls et écharpes pour les givres d’hivers et les gelées d’été, machines inter-temporelles de nos esprits toujours avides de jouvences, magiquement âgées de nos infinis huit-ans et vêtus de nos derniers souffles, pour l’éternité, Murat.

Et l’instant semble court, mais le trop égratignerait le moment intime, la friabilité de la beauté, bien sur on voudrait Jean-Louis sans cesse, mais il ne faut briser la faiblesse, boire le nectar de ces fleurs de champs petit à petit, rationner ainsi le temps, ne pas perdre le pouvoir de ressentir, de nos papilles enfantines, tout l’art d’ici, là, et maintenant. Jean-Louis nous amène en campagne, aux orées de son dernier disque, a la lisière d’années de frémissements, de son petit blues empathique, accompagné de sa cours des miracles, comme une veillée aux campements du temps, flamboyant dans l’obscur, le feu au milieu, autour, le velours, avec ce sourire sournois d’avoir encore montrer que le poète est musicien et le musicien doué de poésie, en petit comité, en univers restreint, qui n’a de fin.

Inamorrato, délicat moment volé aux apesanteurs, assis sur les rebords des mondes de phrases, a la lueur de la flamme incertaine, chancelante, chantante et frêle, son brasier, le manteau rouge, militaire, qui tranche la vallée de l’enfance, Inamorrato, prendre le temps d’oublier le temps, simple, éclatant, simplement, émouvant, porté extra-corporellement sur les chansons éthers, la poésie de l’air, résumé d’un art qui ne s’achève, dans les crissements nerveux des guitares et les nervures affables des batteries, et soulevé au ciel des ans par le chant de Murat, qui se parle a lui-même a voix haute, a voix fragile, introspection étrange d’un ange chu, l’instant d’un petit miracle, l’instant de nos soupirs noués entre eux pour durer le temps d’une mémoire.