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Son nom ne vous dira peut-être rien, mais il apparaît depuis quelques années sur les notes de pochettes de nombreux albums et même parfois sur scène, en tant que musicien autant que producteur artistique / ingénieur du son chez Matt Elliott et Shannon Wright, pour ne citer qu’eux. Il joue également avec les sœurs Labèque, Bryce Dessner, Thom Yorke, excusez du peu ! Sa venue aux Rockomotives pour présenter son 1er album solo "La terre invisible" était l’occasion rêvée d’en savoir plus sur son parcours, et pour découvrir la richesse de ses univers musicaux.

ADA : On t’a découvert accompagnant ou enregistrant des artistes tels que Matt Elliott ou Shannon Wright, mais ce n’est qu’une toute petite partie de ton parcours : peux-tu te présenter ?

David Chalmin : Vous m’avez connu par ma casquette de producteur, ingé son qui m’a permis au fil des années de rencontrer mes idoles. Matt Elliott et Shannon Wright sont de grandes influences pour moi, des gens que j’adore depuis toujours. J’ai donc eu la chance de les rencontrer et de bosser avec eux, et de tourner, avec ma 2e casquette, celle de musicien. Accompagnateur, c’est rare mais pour eux j’avais vraiment plaisir à le faire. Et sinon, j’écris aussi de la musique et j’ai monté un studio d’enregistrement. Donc mon temps se divise entre ces différentes activités. Et depuis environ un an, j’ai aussi une carrière solo comme musicien électronique avec cet album "La terre invisible" qui est sorti au mois de mai (chez Ici d’Ailleurs).

ADA : Ça fait un moment que tu écris de la musique, mais La terre invisible est le premier album qui sort sous ton nom. Qu’est-ce qui t’a amené à le faire ?

David Chalmin : Je le dois vraiment à Stéphane Grégoire, le patron et fondateur du label Ici d’Ailleurs. C’est quelque chose que j’avais envie de faire depuis longtemps, mais ça s’est formalisé quand j’ai travaillé sur le dernier album de Third Eye Foundation - toujours Matt Elliott mais dans son projet originel électronique. Stéphane est venu nous voir en studio et a vu ce que je faisais, quelle était mon approche, et m’a dit : "Mais pourquoi tu ne fais pas un truc solo ? Je te le sors sur Mind Travel", sa collection de disques ambiants. C’est parti comme ça, j’ai commencé à penser à un disque ambiant, et au milieu de ça, j’ai fait le titre "matière noire", inspiré de trucs comme Jon Hopkins, de trucs plus rythmés. Je l’ai envoyé à Stéphane qui m’a poussé à en faire plus dans ce style, il a joué son rôle de directeur artistique, il est très bon pour ça, il a vraiment une vision… Donc, j’ai fait plus de titres comme ça, on a gardé des titres plus ambiants que j’avais fait aussi, cet album a émergé comme ça.

ADA : Est-ce que le processus de création a été long ?

David Chalmin : Pas tant que ça, ça s’est fait sur 2 mois où je me suis vraiment consacré à ça, même si j’ai continué de faire d’autres choses à côté, mais je m’étais fixé comme objectif de le faire pendant un été. J’ai refait des titres après mais ça n’a pas été très long comme processus.

ADA : Comment s’est passé l’enregistrement ? Tu as enregistré au fur et à mesure, ou tu as d’abord composé puis enregistré ?

David Chalmin : C’est créé sur le moment, plutôt basé sur des improvisations : j’ai pas mal de machines, je branche un truc qui m’amuse, je cherche un son, une fois que j’ai trouvé un son qui me plaît, j’enregistre une piste de base où je bricole des trucs pendant 10 minutes, un quart d’heure, 20 minutes, et puis après je réécoute, et il me vient une autre idée, et j’empile. Donc c’est un travail d’improvisations puis d’arrangements de ce qui est la première piste principale. Et finalement, le disque étant ce qu’il est, Stéphane a proposé de le sortir sur Ici d’Ailleurs et pas sur Mind Travel, parce qu’il trouvait plus cohérent d’élargir, ne pas le vendre juste comme un disque ambiant, ce qui effectivement n’est pas exactement le cas. Après c’est très dur à classer, même pour les concerts, pour le public, mais après c’est mon objectif, je n’aime pas cliver les musiques, je n’aime pas devoir choisir, et j’aime bien que même en concert, il y ait un moment ambiant avec des sons qui s’étirent et un moment où il y a de la grosse caisse sur tous les temps et où on a envie de danser. J’aime bien ce contraste là et ça m’amuse aussi de confronter tous les univers qui m’inspirent.

ADA : Et comment tu as travaillé la partie live ?

David Chalmin : C’est assez compliqué… Pour l’ambiant j’ai vite trouvé un setup qui me plaît, avec lequel je m’amuse et ça peut être en grande partie improvisé. Après j’ai essayé au début de reproduire les morceaux plus rythmés en live, d’ailleurs au tout début je voulais faire un setup sans ordi. Et puis en fait c’est idiot, c’est un enfer : tu achètes ou tu cherches plein de machines qui vont refaire ce que fait un ordi, mais à la fin tu te dis que c’est con. Du coup j’ai accepté l’ordi et j’ai aussi accepté pour les morceaux plus rythmés d’en reprendre la forme originale, parce que quand j’essayais de les refaire en live, c’est tellement basé sur les formes, les dynamiques, les crescendo les decrescendo que je n’y arrivais pas aussi finement… parce qu’au moment où tu fais un crescendo sur un synthé, il faut filtrer la batterie, il faut baisser le son qu’il y avait avant, et j’ai pas assez de mains. Donc je préfère utiliser la base et faire des traitements en temps réel dessus, aussi parce qu’en live je trouve que les choses ont besoin d’être plus exacerbées. Quand tu joues un mix d’album, c’est un peu plat en live, il n’y a pas assez de dynamique, donc là je m’amuse, je rejoue des trucs par dessus, je réutilise des trucs qui sont déjà dedans, ça brouille un peu les pistes. Par exemple quand il y a un petit arpège dans le morceau, je le rejoue avec le même son mais différent, un truc qui va un peu frotter, qui va pas être calé. En improvisant aussi pour être occupé musicalement, j’ai pas envie d’un truc qui joue derrière moi et de ne rien faire. Et du coup, j’ai ajouté la vidéo pour aussi avoir une autre activité et déjà pour régler le problème de la lumière, parce que je trouve toujours ça hyper délicat de faire des lumières, donc là au moins je demande le noir. Et du coup je peux mettre une vidéo qui est générée par le son que je fais, qui sort du même logiciel d’ailleurs, de Live, et j’ai un contrôleur que j’ai configuré pour interagir dessus en temps réel. Donc si je n’ai rien qui m’inspirent musicalement ou si j’ai un petit moment de vide, je me mets à bidouiller ma vidéo, sans savoir exactement ce qui se passe derrière, j’ai un tout petit retour vidéo sur l’écran de l’ordi, mais j’ai aucune idée de ce que ça rend.

ADA : Ton projet solo me fait parfois penser à Fragile (le titre Vertige notamment), à Four Tet, est-ce que tu connais ?

David Chalmin : Je prends ! C’est marrant parce que Four Tet, il y a des trucs que j’aime, mais par contre il y a un univers un peu house que je n’ai pas du tout, je ne viens pas du tout de là. Sinon il y a Jon Hopkins que j’ai cité, mais aussi Tim Hecker, Loscil, qui ont été des grosses influences aussi pour le côté ambient. Ben Frost aussi, là pour le coup j’ai des distortions, des filtres qui sont très inspirés de ce qu’il fait, le side-chain [procédé technique lié à la compression qui écrase des sons quand un autre son joue, souvent une grosse caisse, NDLR] qui pompe, tire à l’intérieur du ventre.

ADA : On sait que tu composes d’autres choses que de l’électro. À l’écoute de "La terre Invisible", même si tu as parlé d’improvisation comme base, c’est malgré tout assez construit, il y a des mélodies, une musique à la fois sensible, riche avec une dimension dansante qui s’y mêle. Comment as-tu réussi cet équilibre ?

David Chalmin : En fait mon intérêt principal est très lié à la mélodie, même dans les musiques barrées, expérimentales, j’ai toujours besoin de m’accrocher à quelque chose de mélodique, une forme d’harmonie, mais après je suis fasciné par des sons, des sons étirés qui parfois ne ressemblent à rien. Donc quand j’enregistre quelque chose comme ça, un truc hyper bizarre, distordu, qui ne ressemble à rien, j’ai envie de rajouter une mélodie par dessus, donc oui l’aspect mélodique est important. Au moment de présenter un album j’ai cette conception un peu orchestrale de la musique, avec des couches, les aspects rythmique et mélodique aussi importants l’un que l’autre.

ADA : "Lumière blanche" le titre qui termine l’album est complètement différent : c’était une volonté de ta part d’ouvrir sur autre chose que de l’électro pure ?

David Chalmin : Il a été fait à la même période, c’est la même personne, la même personnalité, c’était aussi une manière de présenter ce que je peux faire par ailleurs, et je trouvais que c’était une bonne détente à la fin d’un album dense, de finir avec quelque chose de très épuré, minimal. Je reste un fan d’Arvo Pärt, de musique baroque, donc j’ai essayé à mon échelle de transmettre cette inspiration.

ADA : D’ailleurs, qu’est-ce que tu penses de toute cette mouvance néo-classique, dont Nils Frahm par exemple ? Ce morceau m’a un peu fait penser à ce courant-là.

David Chalmin : Je suis complètement pour, le terme néo-classique me fait toujours un peu peur, les étiquettes c’est toujours un problème, le "post-minimalisme", etc. En tout cas pour moi ce retour de l’harmonie, de la consonance et des aspects rythmiques est hyper important dans la musique contemporaine, et il était grand temps qu’on revienne à de la tonalité. j’aime beaucoup aussi l’idée qu’il y ait beaucoup plus de mélange entre les musiques populaires et les musiques savantes. Effectivement ces courants-là contribuent à ça, donc ça me plait, ça m’intéresse. Après Nils Frahm, il est sur une frontière : il y a des choses qu’il fait que je trouve géniales, et d’autres que je déteste (rires). Parce que c’est limite kitsch parfois pour moi, et parfois vraiment brillant avec des sons magnifiques. Arvo Pärt, c’est ce qu’il y a de plus difficile au monde à écrire, parfois il y a 3 notes… C’est comme quand tu essaies de faire du Bach : on sait comment c’est fait, l’harmonie est complexe mais on peut l’étudier, mais personne n’arrive à faire aussi bien. Il faut trouver sa place. Nils Frahm la trouve parce qu’il a une grosse recherche sur le son, parfois ça n’est pas mon esthétique donc ça me touche moins. Mais je n’aime pas le terme néo-classique : on a décidé que la musique contemporaine devait être atonale, et donc dès que c’est tonal on appelle ça néo-classique. C’est étrange d’avoir décidé qu’à la 2e moitié du 20e siècle, la musique serait atonale, et c’est tout. Il y a effectivement eu plein de choses très intéressantes, mais ça n’est pas une voie unique.

© Umberto Nicoletti

ADA : Tu collabores régulièrement avec les sœurs Labèque, Bryce Dessner (The National), Thom Yorke. Comment se sont faites les rencontres ?

David Chalmin : Alors Katia Labèque est ma compagne depuis 16 ans maintenant. Mes parents organisaient un festival en Savoie, le festival de Bel-Air (www.rencontresbelair.com) initié par Renaud Capuçon violoniste originaire de Chambéry, ma ville natale. On l’a vu grandir, et il est aujourd’hui un des plus grands violonistes français. Il a fait venir énormément de monde à ce festival, dont Katia. Ensuite avec Katia on a cherché pendant des années des terrains de jeu communs, on a vraiment exploré plein de manières différentes. Elle est pianiste classique avec une énorme ouverture à la musique contemporaine, au rock. C’est vraiment une rockeuse dans l’âme, Katia, si elle pouvait avoir une guitare électrique… c’est son rêve d’ailleurs ! Le fait que je sois guitariste ça a sûrement aidé. Donc on a fait plein de projets plus ou moins réussis, de recherches sur ce qu’on pouvait faire ensemble, et la découverte du courant minimaliste a été le déclic : c’est de la musique écrite mais qui est consonante, avec beaucoup de rythmiques, on peut faire venir notre pote batteur. Maintenant, on a trouvé des formules qui nous plaisent, et où on peut faire notre musique : j’écris une forme de musique contemporaine, dérivée un peu de ça mais aussi de la musique électronique, tout s’influence. Et Bryce Dessner est un des grands représentants de ça, il a étudié la composition à Yale, c’est un musicien brillant, guitariste classique. Il fait le pont, avec ses amis, un cercle de Justin Vernon (Bon Iver) à Sufjan Stevens, des gens qui cherchent et proposent des musiques un peu nouvelles.

C’est alors que les 1ères notes du groupe Bo Peep résonnent dans tout le Minotaure nous incitant à terminer de façon plus rapide que prévue cette interview. Espérons que cet entretien vous aura donné envie d’écouter les différents projets auxquels David Chalmin participe.

Un grand merci à David pour son temps, à Jean-Philippe Béraud et aux Rockomotives.



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