Chaque nouvel album de Kim Giani semble prendre le contre-pied exact du précédent. À tel point que c’est chaque fois une surprise : Reggae italophone ? Hard-rock synthétique ? Tubes folk acoustiques ? Garage punk crado ?
Ici, le titre donne un indice. Cet album est dédié à l’omnichord, un instrument étrange, un peu cheap, sorti au début des années 80. Sorte de synthé de forme ovoïde (d’aucuns diront « de haricot »), espèce hybride, il présente en effet des touches et une surface grattoir que l’on peut jouer au doigt ou au médiator.
Infatigable fouineur et grand amateur de sonorités rétro, Kim a depuis longtemps adopté cet instrument peu répandu puisqu’il l’a souvent utilisé au cours de sa pléthorique discographie. Il lui a d’ailleurs consacré une réinterprétation de son album Mary Lee Doo en 2011 et a participé à la chouette compilation Ode à l’Omnichord du label Monster K7 en 2016. Omnichordia se découpe en deux longues plages instrumentales (une par face du vinyle), navigant entre pop synthétique planante et nappes psychédéliques, évoquant tour à tour Tangerine Dream, Brian Eno ou John Carpenter. En à peine 35 minutes, et même si il semble avoir utilisé d’autres instruments, Kim a repoussé la machine dans ses derniers retranchements et en a extrait toutes les ressources et les richesses qu’elle pouvait receler, performance que seul un surdoué passionné de l’objet tel que lui pouvait atteindre.
Il en demeure que la genèse du projet reste obscure et surprenante. Il ne tenait qu’à moi d’en contacter l’initiateur et de l’interroger quant-aux tenants et aboutissants de sa démarche.
ADA : Peux-tu nous présenter l’omnichord ? Comment tu l’as découvert, qu’est-ce qui t’as tout de suite séduit chez lui ?
Kim : J’ai découvert l’omnichord à un concert de Chris Knox en 1995 à Paris, le 9 mai, au New Opus Café. J’ouvrais pour ce chanteur que j’adore et il se servait de la boite à rythmes de l’omnichord plus souvent que des accords ou de la pellicule qui égraine ces mêmes accords. Plus tard en 1997 je suis allé à un concert de Pram où la chanteuse Rosie jouait de cet instrument en grattant la pellicule, en se servant du trémolo. Là j’en voulais un tout de suite. Ils sortaient à cette époque un disque avec une chanson qui s’appelait Omnichord. Ce qui m’a séduit c’est le son qui ne ressemble à rien de précis. Autant orgue que autoharp. Et puis de belles basses bien rondes et une boîte à rythmes rudimentaire. J’ai cherché des années avant d’en trouver un tout neuf encore emballé de 1981 à la librairie Lignerolles à Bordeaux. Le tout premier Suzuki.
ADA : J’ai cru lire qu’il avait déjà été utilisé par des musiciens comme David Bowie, Damon Albarn, Placebo, Bob Dylan, Duran Duran... Y-a-t-il à ta connaissance des morceaux célèbres où on aurait pu entendre de l’omnichord sans le savoir ?
Kim : Il y a bien sûr Feel Good INC de Gorilllaz où l’on entend clairement de l’omnichord sur les refrains. Et puis un tube de Kasabian dont j’ai oublié le titre. Souvent cet instrument se noie dans le mix alors c’est pas si simple de le découvrir. Il y a aussi Omnichord de Pram. Bowie en a utilisé, oui. Il y a aussi Elle panique d’Olivia Ruiz. J’ai joué l’omnichord sur cette chanson ainsi que sur son album de 2009.
ADA : Tu as déjà sorti des albums dédiés à un seul instrument (Uku Tape, Piano Lee Doo, De La Drum...). Qu’est-ce qui t’a décidé à sortir un LP instrumental de 2 longs titres dédiés à cet instrument ?
Kim : En 2009 j’ai sorti un album qui s’appelle Mary Lee Doo dans lequel l’omnichord est partout. Et dans cet album il y a une chanson qui s’appelle Lady Blue avec un clip que j’avais animé et dessiné image par image. J’ai eu envie de faire un court métrage d’animation sur ce procédé. Lady Blue m’a pris 10 mois. Alors je me suis dit qu’un court métrage de 30 minutes me prendrait 8 ans. C’était copieux. J’ai eu envie de commencer par la musique, et prendre comme inspiration l’omnichord. J’ai improvisé toute une nuit, étape par étape. Quand j’ai eu le long morceau j’ai dessiné des images. Et c’était très mauvais. Aucune image ne marchait sur cette musique qui était trop imagée. J’ai abandonné l’idée du court metrage, j’ai vendu des mp3 de ce long morceau via mon blog, j’ai titré cela Omnichordia. Ensuite la compagnie La Boite à Sel m’a demandé de faire la musique de son spectacle Play et j’ai utilisé Omnichordia comme note d’intention. Pour finalement fabriquer une nouvelle musique. J’avais envie de le sortir en disque mais quelque chose me derangeait dans le mixage. Des années plus tard j’ai ouvert un dossier avec Omnichordia, ma chérie l’a entendu et m’a convaincu de le sortir en disque. C’est elle qui a imaginé le logo.
ADA : Cet album est-il un hommage à la musique planante allemande du milieu des années 70, ou une tentative d’exploration exhaustive et d’exploitation optimale des possibilités pourtant limitées de cet instrument atypique ?
Kim : C’est une Improvisation comme j’en enregistre souvent chez moi. Je sors parfois ces choses là sous le nom de Calme, Laptop Sisters, Marc Hibo, ou Stan G. J’adore jouer de la musique psychédélique. J’ai bientôt 43 ans, je me dis que je pourrais faire ça plus souvent encore. Comme un vieux geek à lunettes qui boit des cafés accroupi sur des claviers chelous.
ADA : Comment s’est déroulé l’enregistrement ? S’agit-il de recompositions à partir de courts extraits, accrochés et remixés, ou de longues improvisations ?
Kim : . Uniquement de l’improvisation. Quand j’en avais marre d’un passage je stoppais et ouvrais une piste pour un autre instrument. Par exemple au début de la partie 1 j’ai eu envie d’un solo de basse. Je ne sais pas pourquoi. Mais je l’ai fait. Ensuite il y a eu une seule coupure, en 2019, car j’ai eu envie que ce soit un vinyle. Alors j’ai coupé Omnichordia en deux.
ADA : Difficile de transposer cet album sur scène. As-tu néanmoins prévu des concerts seul avec ton omnichord ?
Kim : Je n’ai pas du tout envie de jouer Omnichordia en live. Mes concerts sont toujours improvisés. Il y a plusieurs genres d’improvisations. Les répertoires improvisés, comme en blues. Les passages improvisés, et puis les improvisations libres. Dans mon cas j’improvise à partir de mon répertoire dans lequel il y a des chansons à moi et des covers. Et de plus en plus souvent j’improvise directement des nouvelles musiques sur scène, paroles y compris. Que je sois en solo ou avec musiciens. Et je crois que de plus en plus je vais aller vers l’improvisation libre. Celle où l’on a aucune idée de ce qu’on va jouer du tout. Certes il y a mes disques avec des chansons pop, alors je vais en chanter encore. Cela dit je souhaite encore plus de liberté. Pourtant j’en manque pas. C’est sans fin, cette soif là. Certains musiciens sont en quête d’innovations, ou d’esthétisme, ou de rayonnement, pour moi ce qui compte c’est de faire les choses librement.
ADA : Quels sont tes prochains projets à court terme ? Un album de pop à la Blues De Geek Manifesto ? Un album de reprises comme tu l’as fait récemment pour Daniel Johnston ? Un album de Black Metal ?
Kim : J’ai 4 albums prêts. Un qui sort en avril et qui s’appelle Les sessions du Carreau capturées par Cléa Vincent. Il s’agit de 12 titres dont 5 totalement improvisés. L’album en entier est improvisé d’ailleurs, et enregistré par Cléa Vincent dans son studio. En ouvrant les pistes et en laissant venir j’ai joué quelques nouvelles chansons en piano voix et quelques improvisations libres. Ensuite en juin je sortirai un album d’une seule piste d’une heure qui s’appelle Route départementale 89 puis en juillet sa suite qui s’appelle Route départementale 75 et qui est une unique piste de deux heures. Pour l’automne j’ai aussi des tas de choses que je viens d’enregistrer et qui sont techno. Et puis j’ai enregistré un album de rock en 2014 avec Blandine Millepied et Ollie Joe que je dois mixer. Par ailleurs j’ai un album pop en chantier depuis un an pour Z & Zoe Records. Plus je vieillis plus les techniques d’enregistrements sont simples. C’est pour ça que je sors de plus en plus de disques.
ADA : Et pour terminer, aurais-tu un album ou un artiste à nous conseiller pour meubler nos longues soirées de quarantaines à venir ?
Kim : C’est le moment ou jamais d’écouter le Ring de Wagner. Ça dure 16 heures !