> Critiques > Labellisés



Au détour d’une chronique consacrée à « Tout ce temps passé là », le revigorant album synthpop shoegaze lounge néo-psychédélique de Simon Dougé alias Pasta Grows on Trees, paru en octobre 2020 sur le label Another Records, j’avais évoqué le collectif Entre-Soi, organisateur de soirées mais aussi label fin limier, dont la compilation « Entre Autres », sortie au printemps dernier en numérique et en cassette – avec un morceau bonus de Pasta Grows on Trees –, célébrait une certaine idée de la pop francophone, DIY et avant-gardiste, entre irrévérence et références bien senties, à l’aise dans sa modernité débrouillarde et néanmoins parfaitement lucide quant à la froide vacuité de l’époque.

Après les récents albums de Midnight City et MacThenardier, ainsi que du fabuleux EP de Concordski – chroniques à venir –, il est grand temps de se pencher sur les douze morceaux grisants de « Entre Autres » : le lyonnais MacThenardier, sur fond de boîte à rythmes binaire et de nappes de synthétiseur, ouvre le bal avec un « Dans Mon Assiette » mélancolique à souhait, entre Daho (les couplets tubesques) et Jacno (le flegme), qui évoque ses difficultés amoureuses et les trois ans nécessaires à les surmonter (on compatit, mec), avant de passer la main à Alexis Lumière et son surprenant « Paroxysma », instrumental électro cheap 80s mixant New Order et les dessins animés du Club Dorothée. Dans un registre dorm-pop, le duo Hadi Kizlar - Clara et Paul mêlant avec (in)quiétude leurs chants noyés de réverbération - prend le relais avec « Tes Mots Sous UV », puis c’est « L’Italie », ballade liquide en forme de slow les pieds au bord de la falaise portée par la voix apaisangoissante de Sarah Maï et enfin, quitte à voyager, autant se poser dans un « Jacuzzi » instrumental, celui de Pleasure Principle (un hommage au « Principe de Plaisir » de John B. Root ?), groovy, acide et bariolé.

Qui dit jacuzzi dit apéro, et c’est le bien nommé Magic Beau Gosse Gaspard Ricard qui paye sa tournée : « Signes Tendancieux » fait péter le tempo et chasse sur les terres 80s des chansons festives, Prodigy 8bit meets Début de Soirée, la collision est ébouriffante. Un peu de douceur avec Jokari et son « Calorifère » digne des premiers émois de Katerine (époque cheveux et timidité scénique), à base de guitares folk entremêlées et de voix sur le fil enregistrées comme si on avait dû leur courir après dans la forêt pour les attraper (Pokemon home field recording ?).

Mais de quel « Juif-Mexicain » parle Danse Avec Les Shlags (Antonio Beltran, claviériste du Villejuif Underground) dans son délire lo-fi noisy folk ? J’ai pensé à Trotski, assassiné en 1940 à Coyoacán, mais il s’agirait plutôt d’égratigner nos amis parisiens, si prompts à l’empathie, tant qu’elle reste théorique. Bim, dans votre nez coké, les bourges mal rasés !

Avec « J’ai Besoin d’une Douche » from Marseille, Musique Chienne se lance dans une électro french touch épurée (syncopes rythmiques et basses arpégées vrillantes - remember Mr Oizo ?). On reste dans le registre électro avec Médaille et un curieux « Retard », aux accents jazz et funky, dont la ligne mélodique oscille entre Daho et 2B3 – la si scolaire si appliquée si chiante génération Armanet ayant adoubé Michel Berger et Véronique Sanson, comment ne pas imaginer, avec la très décomplexée génération suivante, un retour en grâce des boys band ?

Enfin, le chant de La Mante – side-project solo d’Étienne Froidure (Beach Youth) – et ses inflexions à la Polnareff font de la ballade bowiesque « Charmeur de Serpent » un bien bel objet sonore, rehaussé par d’envoûtants motifs de guitare et une chouette fin expérimentale. « Cicada », c’est la cigale, et on l’entend au début du morceau de l’instrumental ambient électro kraut conclusif signé AAB, en dessert d’une très nourrissante compilation. Il faudra suivre les aventures de ce collectif hors-normes, généreux et délirant, dont le nom est bien entendu un contresens volontaire, en forme de pied de nez : pas d’Entre-Soi sans les autres, sinon on s’endort et on se réveille mort.