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Lorsqu’il s’agit d’évoquer Nick Cave & The Bad Seeds, par où commencer ? En effet, l’empreinte laissée sur le rock contemporain par le crooner australien et ses ouailles est si profonde, si belle et si puissante, qu’il paraît superfétatoire de choisir un angle d’approche plutôt qu’un autre, sauf à dire que par-delà les décennies le natif de Warracknabeal (au milieu de nulle-part) écrit des putains de bonnes chansons, des classiques, des classiques d’une classe folle, des classiques pour l’éternité. Après des tributes à la gloire de Death In June, The Sisters Of Mercy, Bauhaus et Christian Death, le label avignonnais Unknown Pleasures Records consacre le cinquième volume de sa série Honoris au Roi en personne, et ce au travers d’une setlist de rêve (des classiques, on vous dit !) qui ferait chavirer n’importe qui, du fan hardcore au noob friand de la série télévisée Peaky Blinders. Piochant avantageusement dans le répertoire 80s et 90s de Nick Cave, les quinze titres de cette compilation convient des artistes confirmés (Peter Milton Walsh, La Féline, The Married Monk, Versari) tout autant que des chevilles ouvrières de l’underground. Vertiges dès l’ouverture et le magnifique Henry Lee de SFD, marchant sur les traces spectrales de la version originale, de cordes amples et de batterie aérienne, qui voit Agnès Gayraud reprendre avec grâce le rôle dévolu à Polly Jean Harvey. S’ensuivent The Ship Song, lysergique, porté par des claviers cotonneux et la voix chaude de Marco Numan (croisé chez Maman Küsters) puis Stranger Than Kindness, que les inimitables The Married Monk envoient dans l’espace, un nuage céleste brodé de frottements et de stridences, avant que Kisa nous ramène, avec un Your Funeral My Trial ligne claire, patient et posé, cousu de guitares arpégées, sur terre. Folk, le I Let Love In d’Anton Makarov conserve néanmoins la tension initiale, grâce à une interprétation habitée. Gros morceau que Loverman, et c’est Kiss Me Black qui sans complexes s’y attaque, en sept minutes de clair-obscur incandescent. Après des relectures de facture classique, les chiens sont lâchés : Versari se charge du fiévreux Brother, My Cup Is Empty, le malaxant à coups de noise et d’indus, parti-pris qui en souligne à merveille la sauvagerie originelle, tandis que A Wedding Anniversary teinte The Mercy Seat de spoken word et de doom, pour un bal des morts-vivants carnassier. Plus loin, Factheory électronise avec réussite Jubilee Street, en une surprenante hypnose post new wave que l’on aurait (justement) pu entendre à The Haçienda, SÅLM s’empare à nouveau de The Mercy Seat pour l’éclater sur les murs synthétiques d’un night-club situé en orbite (on pense à The Knife voire Grimes) et que La Main raidisse / calcifie / coldifie A Weeping Song pour en soutirer la martiale moelle est-allemande. C’est bête à dire, mais faire dérailler le train, que c’est jouissif, d’autant plus que les mélodies de Nick Cave s’en sortent toujours à bon compte. La nuit, toujours. I Let Love In, drapé de réverbération 80s par le glaçant et néanmoins poignant Swesor Bhrater ; le kraut psychédélique Stagger Lee, concassé, fracassé, exfiltré de Years Of Denial ; les murmures de Judith Juillerat sur un The Carny ambient en forme de comptine grimaçante ; la rage rentrée de Bonnie Trash sur un Red Right Hand monolithique, bâti à coups de riffs de guitare électrique, fondu au noir. Si l’ensemble est (volontairement) hétérogène, il y en a pour tous les goûts – de la reprise à la note près au pas de côté aventureux : derrière un artwork signé Karim Gabou, bel hommage que ce Honoris V.