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Sur la pochette du disque : un dessin de maison. Minimaliste, noire et blanche. Une pincée de bossa, un soupçon de jazz, une ou deux notes celtiques dans les inspirations qui transpirent parfois des parois de ce premier album d’Abstract Concrete. Comment traduire cela ? « Béton abstrait » ? «  Du concret abstrait » ? Ça parle d’architecture : ça parle du monde. 

Mais mais mais lorsque la voix de Charles Hayward (This HeatCamberwell Now) surgit, c’est un univers totalement différent qui s’offre à nos oreilles flippées. Ce monde est sombre, londonien - Gotham ? - et après quelques mesures on tombe dans l’inquiétude. La surface glauque de la Tamise, celui d’un certain David Byrne (dont j’ai essayé cent fois d’aimer le chant, cent fois j’ai échoué) le glauque entendu à travers cet « happening to die » dans « Sad bogbrush », troisième chanson de l’album. 

C’est surtout avec le duo guitare éléctrique/batterie que cette atmosphère gothique se joue, même si je suppose que la basse n’est pas étrangère à un feeling vaguement grungy (b.o. de The Crow et des albums fin 90ies de Nick Cave) à un feeling décadent, qui émerge du disque. Agathe MaxRoberto SassiYoni Silver et Otto Willberg réussissent à unir leurs talents à ceux de Charles Hayward pour combiner des basses dub, du folk, du rock post-punk dans une lignée British tracée par les Kinks et Robert Wyatt avant eux. 

Le monde ne tourne pas rond - preuve en est cette maison tracée avec une règle - et le monde ce n’est pas que l’Europe, au fait. Le monde ce sont aussi ces « tristes tropiques », les rivages de certains îlots perdus, isolés, et pas vraiment, non, pas vraiment paradisiaques. La dépression frôle la rigolade chez Abstract Concrete, comme souvent Outre-Manche. Ils ne sont pas dupes. Parce qu’en fait, quoi que nous en croyions, les peuples premiers souffrent - non pas des récentes évolutions technologiques et/ou politiques de gros connards aux cerveaux dérangés, mais depuis bien avant - (re)lire Le Malaise dans la Civilisation de Freud, 1930, très éclairant à ce sujet - ouais j’aime bien me documenter parfois. C’est parce que nous naissons « imparfaits », « pas finis », entendez par là pas foutus de marcher ni de manger correctement au départ, contrairement aux animaux, c’est parce que nous naissons dépendants d’un extérieur souvent nourrissant, parfois hostile, que nous le restons (dépendants). Cette idée peut sembler belle, mais le verso n’est pas reluisant. 

Quel rapport avec Abstract Concrete ? Alors absolument aucun. J’avais juste envie de parler de ça. 

Je déconne. En fait, le cinquième morceau de ce six-titres, bourré d’orgue (j’adore l’orgue, ou en tout cas le son « organ » des synthés) est intitulé « Tomorrow’s World ». Il est instrumental durant les six premières minutes. Le violon gémit, l’orgue fait son taf (rythmer le morceau) et les guitares laissent monter la tension. Suspense ? Non : c’est longtemps après que le chanteur se rappelle à nous : « Are we dead yet ? » 

Ouaip j’ai envie de dire, on est « morts », on est devenus des putains de robots surtout. Alors si vous aussi vous ressentez des sensations négatives dûes aux servitudes modernes dont nous faisons l’objet, procédez donc comme sur la pochette du disque, je vous en prie : restez à la maison, éteignez tout sauf votre chaîne hi-fi, chouchoutez-vous. Le monde civilisé ne le fera certainement pas pour vous. 




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