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Retrouvailles avec le flamboyant mélodiste qui par deux fois brava la mort – ni la voiture qui enfant le percuta ni la pneumonie dont il fut il y a quelques années atteint, au point d’avantageusement cesser tout commerce avec l’alcool, n’eurent raison du Breton exilé en région parisienne, à la confluence de l’Oise et de la Seine : pas oisif pour un sou et doué pour la (mise en) scène, à l’approche de la cinquantaine, quand tant d’autres au même âge ont baissé les bras ou – sans s’en rendre compte, vivant de formules et de ficelles – artistiquement décliné, Olivier Rocabois bouillonne toujours ; son enthousiasme est contagieux.

Hors de question pour lui d’être « un énième Brian Wilson du dimanche qui joue sur un piano de location dans un appartement témoin ». Ainsi, deux ans après le remarquable EP Pleasure is Goldmine, il nous revient avec l’ambitieux The Afternoon of our Lives, collection de chansons destinées à – je reprends les mots de l’auteur – décrire la lente désintégration du corps et la libération, par l’amour et la musique, d’un quinquagénaire chauve et potelé.

L’amour, il est en grandement question dans l’introductif Stained Glass Lena, parfaite pop song au chant rappelant le jeune David Bowie, auréolée de piano, de guitares scintillantes et de mellotron, qui sans regrets évoque un récent après-midi marseillais durant lequel fortuitement notre dandy conversa avec une girlfriend des temps héroïques. Plus loin, le très orchestré 45 Trips around the Sun, dont le titre fait référence au single 45T Ship of Women / Somewhere in a Nightmare paru à l’occasion des 45 ans de son auteur, rappelle le The Divine Comedy de Your Daddy’s Car, tandis que The Coming of Spring, ballade à la structure (é)mouvante, composée durant la crise sanitaire et ornée d’arrangements psychédéliques, nous offre une interprétation théâtrale, citations 70s à l’appui.

Il faut dire que la production émerveille, tant tout y est précis et néanmoins aéré, laissant la place à l’expérimentation et aux arrangements chamarrés. Qu’il s’agisse de l’épuré You Only Live Thrice (John Barry, are you here ?), du groovy All Is Well When I Go My Merry Way (The Beach Boys, Bee Gees, même harmonique combat) ou du dodelinant From Hampstead Heath to St John’s Wood (promenade en pensée avec Paul McCartney), il y a dans cet album au long cours une aisance, une fluidité, une souplesse frappantes, tant tout paraît aisé sous les doigts et dans les mots d’Olivier Rocabois, qui malicieusement nous préparait aux huit minutes dantesques de Prologue / Trippin’ on Memory Lane, écrite après une visite à Giverny : un trip à l’acide, un love adolescent, la sortie de l’école primaire, la peur de mourir avant les gens que l’on aime, le cimetière de Vannes, tout se mêle en un tourbillon d’émotions, de sitar et de sensations baroques.

L’ambition et la démesure, simplicité et humilité, la marque de fabrique d’un performer rare. On serait curieux d’entendre Olivier Rocabois chanter dans la langue de Michel Polnareff, ne serait-ce que pour bousculer nos hexagonaux apathiques. Sur les morceaux suivants, le crooner de Conflans-Sainte-Honorine ne s’épargne pas une certaine dose de noirceur, avec le poignant Merrymakers, composé en hommage des victimes du Bataclan, la ballade folk All The Suns, qui sans fard évoque ses années d’alcoolisme, ou l’acoustique Over the Moon, rappelant Bob Dylan et enregistré seul en une prise, à l’os. L’album se clôt sur l’instrumental Lifetime Achievement Award Speech, sur lequel Olivier Rocabois joue tous les instruments, petit miracle cinématographique lounge, enivrant, à l’image d’un album pétri d’humanité et de références classieuses : croix de (Roca)bois, croix de fer, si The Afternoon of our Lives bide, nous irons tous en enfer.