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  • novembre 2004 /
    Pollyanna
    l’interview

    réalisée par gdo

Interview réalisée en novembre 2004 Un grand merci à Isabelle et à David

Peux-tu vous présenter ?

— Nous sommes un duo de pop, de folk ou de rock acoustique, ou tout à la fois, comme on voudra. J’ai commencé dans un trio rock marseillais, John, puis j’ai joué un moment seule avec ma guitare folk et il y a deux ans, David m’a rejointe. A l’origine guitariste, il touche un peu à tout avec Pollyanna : guitares, mais aussi batterie et instruments plus inattendus piqués sur les étagères de mon père, qui joue dans un groupe folklorique andin. Nous sommes tous les deux passés par le sud (j’ai vécu dix ans à Marseille et David vient de Montpellier), mais aujourd’hui on peut dire que nous sommes un groupe parisien.

pour évacuer une question qui me taraude, pourquoi une plage en pochette ?

— J’ai pris cette photo sur la côte est des Etats-Unis, près de Province Town, alors que j’étais en vacances. Tout de suite, je me suis dit que ce serait une chouette pochette : avec le bateau qui passe, la fille qui regarde au loin, l’horizon et l’idée d’une rencontre possible, malgré la plage apparemment déserte … cela me faisait penser à ma chanson Departures. Et puis il y a des raisons plus personnelles : notre musique regarde parfois vers l’Amérique, et là, la fille regarde vers l’Europe. En plus, c’est une amie allemande exilée à Boston, et je sais qu’à ce moment-là, elle avait probablement en tête une furieuse envie de " rentrer ". Elle cherchait alors une nouvelle vie, un meilleur travail, une jolie maison… Du coup, le titre de l’album qui y est apposé lui allait très bien, aussi. Enfin cette photo a immédiatement plu à David, graphiste par ailleurs, qui s’est occupé de l’habillage.

Sans rentrer dans les détails on sent cet album comme une suite de relais d’une histoire familiale, comme si chacun à travers le temps y mettait sa touche ! Comment s’est construit ce disque ?

— Cela s’est fait de manière assez aléatoire : on a enregistré des chansons et quand on a eu assez, on a cherché un ordre dans lequel les mettre. Donc pas de dessein particulier dans cette succession. Par contre, c’est vrai qu’il y des thèmes récurrents dans mes chansons. Les histoires d’amour compliquées, la guerre… A la fois ambitieux et pas très original. J’essaie de récupérer des motifs, des sortes de lieux communs piochés dans les médias ou les conversations, et de les isoler. Ils me perturbent, alors j’essaie de les farfouiller, de trouver les failles et les pulsions qu’ils renferment, sous leur apparence galvaudée. La romance est évidemment une mine de clichés de ce genre. Mais il y a aussi la cupidité, la quête du pouvoir dans laquelle on nous plonge volontiers, et aussi la violence, la peur. Effectivement, je vois vraiment cela comme un relais : ces chansons ramassent des bouts d’histoires un peu partout et en même temps les remettent dans le circuit. Un peu comme on se transmet parfois un secret de famille, de génération en génération. Ou comme des fantômes. Mes histoires, là, finissent un peu en soupe psy : c’est une lecture possible. Mais il y a aussi une lecture politique. Quand je dis dans une chanson que " mon père était soldat ", je parle de notre héritage machiste, mais aussi de la France, de l’Europe… Je crois que le passé nous hante toujours, à l’échelle individuelle ou collective.

En vous écoutant on finirait par croire que la mélancolie reste le seul atout pour exister ? Vous luttez contre celle-ci malgré tout ?

— On ne lutte pas du tout contre elle. C’est un sentiment qu’on aime bien et en même temps, dans la vie, nous ne sommes ni l’un ni l’autre vraiment mélancoliques, plutôt rêveurs, contemplateurs. C’est tout simplement le goût de la ballade triste et des introspections un peu salaces qui nous fait tendre naturellement vers des mélodies mineures et des ambiances intérieures, mais on aimerait que les gens trouvent ces morceaux plus méditatifs que déprimants.

Dans votre dossier de presse il y a des noms de parrains illustres (Dominique A / Françoiz Breut). Qu’est ce que cela vous apporte ?

— Dans une bio, on est bien obligé de raconter son parcours et je ne vois pas comment j’aurais pu ne pas parler de mon ancien groupe, John, et de ces glorieuses collaborations. En plus, j’ai repris à mon compte la chanson que nous avions enregistrée avec Françoiz Breut, alors autant être honnête. Et puis quoi, je suis fière de ça, quand même. Il s’agissait de coups de pouce, de collaborations ponctuelles. Mais nous ne sommes pas " parrainés " du tout, loin de là. Ou alors par Jul d’Eglantine Records, qui déploie des trésors d’ingéniosité pour nous trouver des dates un peu partout…

Est-ce que chez vous tout est sérieux, ou n’y a-t-il pas un détachement, voire un relâchement subtil et coquin ?

— Bien sûr, il y a de l’ironie. Et on a conscience que cela ne saute pas aux oreilles, mais peu importe.

D’ailleurs on a parfois peur de vous trouver sinistre, trop tête baissée sur vos chaussures comme cette génération anglaise du début des années 90. On se trompe ?

— La déprime est omniprésente dans notre vie quotidienne, non ? Il y a même un marchand à chaque coin de rue pour vous vendre un remède contre ça : c’est un moteur de l’économie contemporaine. Alors qu’on ne vienne pas me faire porter le chapeau, parce que je parle de ce que je vois et que j’ai un goût certain pour le morbide. Evidemment, le fait de tout mettre à la première personne du singulier brouille les pistes et j’ai dores et déjà lu qu’on m’imaginait parfois carrément au bord du suicide. Désolée, mais ce n’est pas vrai, pas encore. Encore une fois, on préfère provoquer le recueillement que la sinistrose !

Épluchant un HS des inrocks sur les trésors cachés du rock je vous verrais bien à côté de will oldham felt ou nick Drake, qu’en pensez-vous ?

— C’est forcément très flatteur mais ce serait plutôt à toi de me dire pourquoi… On se sent proche de ces gens-là, oui.

Pour ce qui est de vos attraits, n’êtes-vous pas tentés de beaucoup en faire autour de ta voix ?

— Le sens que je mets dans mes chansons n’intéresse sûrement que moi. Mes paroles sont le plus simples possible, comme ça les gens imaginent ce qu’ils veulent. La voix, les jolies mélodies, en revanche, ça berce tout le monde. Pour moi c’est l’essentiel et c’est pour ça que j’essaie surtout de faire des jolies choses, d’avoir une jolie voix. Par ailleurs il faut mettre ça en avant d’autant plus que notre musique est plutôt intimiste. Nos arrangements peuvent paraître minimalistes, mais vraiment je ne conçois pas mes chansons sans eux. La voix, c’est ce qui prend par la main pour entrer dans ces petits univers, mais chacun est ensuite invité à y piocher autre chose, un son, un arpège, et on essaie de laisser des blancs pour que la personne qui écoute y mette aussi du sien.

Le titre de l’album n’est il pas une boutade, une preuve de votre humour ? d’ailleurs pourquoi ce titre ?

— On en revient à l’ironie évoquée tout à l’heure, mais pas uniquement. Il exprime une quête d’absolu, une forme de romantisme et en même temps il dit qu’on reste toujours enfermé dans nos stéréotypes, ceux de l’enfance, des contes, des histoires qui circulent autour de nous. Etre une princesse, c’est un idéal, et en même c’est pas tellement enviable, si on regarde bien : rester enfermée dans un château, coffrée par son père ou une belle-mère jalouse et n’en sortir que pour épouser le premier venu, qui daignera vous ouvrir la porte et vous rouler un patin, franchement… Note, il y a encore beaucoup de gens qui vivent comme ça, aussi. J’ai l’impression que l’on ne fait que reproduire encore et encore ces modèles, en renonçant parfois à tracer sa propre voie, hors des idées reçues qu’on intériorise depuis notre enfance.

Question de fin : votre playlist de toujours en dix disques maximums

— David fait l’impasse, incapable d’en établir une sans regretter dès le lendemain d’avoir cité tel album à la place de tel autre ;-) Mais voici la mienne : Diane Cluck : Macy’s day bird PJ Harvey : Dry + songs from the city Suzanne Vega : Nine objects of desire Sonic Youth : Dirty Christy Moore : tout Fairport convention : Dominique A : Remué Cure : 17 seconds Rolling Stones : Their Satanic Majestic Request Noir Désir : Malicorne :

Quelque chose à rajouter ?

— Comme Tamara W. je te remercie pour tes questions ;-). Elle me donnent l’occasion pour la première fois de parler aussi intimement de mes chansons.