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Si j’ai mis autant de temps à écrire cette chronique, c’est qu’Andrew Broder est magnifiquement impossible à cerner, à décrire, à expliquer. Avec Yoni Wolf, au sein d’Hymie’s Basement, il a composé ce tube dépressif en trompe l’oreille qu’est "21st century pop song" - puis il a fait Fog. Et Fog, pfiou. L’humour noir et le sens de la mélodie y dansent et luttent ensemble, le pessimisme absolu y côtoie les envolées harmoniques lumineuses, et libérés de tout souci de conformité à quel genre que ce soit, les musiciens y sont inventifs, inventeurs en fait, ils semblent s’y promener avec un bouquet de fils dénudés à la main et une paire de ciseaux devant une console cheloue. Chacun de leurs doigts serait devenu une tête de lecture à force de fricoter avec la bande magnétique. Etc. L’équilibre y est fait de déséquilibres, les impasses sont des aventures, les refrains crament tout, il y a là-dedans comme un amour de la pop, mais un amour contrarié, d’un cœur brisé dont l’hôtel afficherait complet et qui se serait retrouvé à la rue, obligé de faire comme s’il s’en moquait... Après il m’a donné l’impression d’en avoir eu marre et il a fait du drone, mais vraiment, des albums de drone, tel un Lou Reed MusicMetalMachinant, mais en plus sérieux et appliqué et avec moins de pression - et plus de dépression. Et là, une dizaine d’années après, Fog revient et je me dis que le monde est vraiment devenu pourri si ça ne touche et ne renverse que moi.

Si j’ai mis autant de temps à écrire cette chronique, c’est aussi parce que je doutais qu’elle parvienne à être bonne. Quand je me retiens d’employer des expressions pompeuses comme "la solitude esthétique de l’ère post-moderne", ça n’est jamais bon signe.

Si je mets autant de temps, c’est que je souffre là encore du syndrome La Fossette. C’est plus que le "premiersdisquisme primaire" auquel j’avais cru réduire ce syndrome dans une chronique antérieure (paye ton cf, c’est dire si ça se prend au sérieux ici). C’est plutôt qu’une phrase comme "You know what they say/about doing your laundry on your birthday" (The Rabbit, in 10th Avenue freakout) t’a tellement mantratrotté dans la tête qu’elle finit par faire partie de toi, et qu’il ne reste dans ton cerveau plus tant de cases pour l’écoute et le donnage d’opinions sur des disques qui seront toujours fatalement les disques d’après. A ce propos voilà ma chronique de tous les prochains albums de Dominique A : "Dominique A a fait un album, c’est très bien, écoutez-le". Il a gagné ma confiance artistique, et je parle avec ses disques tous les jours : ça et l’assurance qu’il continue, qu’il se déploie, ça me suffit. Rien de plus difficile à oublier, à pardonner que le bien qu’on vous a fait.

Ah flûte la phrase serait pas mal pour clore la chronique, mais j’ai d’autres trucs à dire :

1) J’ai pas parlé du tout des morceaux de ce disque et me suis contenté de raconter ma vie, comme d’habitude. Ecoutez Trying, hymne officiel de moi essayant de chroniquer ce disque.

Du coup j’essaie quand même : plein d’ambiances de calme après la tempête, non dénuées d’un humour étrange ("don’t fuck with my heart", glapit Andrew dans le silence pianistique d’après une ruée dans les brancards aigus d’une quasi-disco tordue), avec un chant qu’on sent plus libéré, plus aventureux, plus sincère aussi, moins douloureusement sarcastique (il est vrai que l’ancien Pneumonia représente un sommet de douleur sarcastique dans le chant, et qu’on ne peut que souhaiter au chanteur d’aller mieux). Il y a même du slap débile et jubilatoire en plein lamento, et à la fin une fille qui chante doucement "Father Pop corn". C’est très bien, écoutez-le.

2) C’est évidemment pour ça que j’ai mis autant de temps à chroniquer ce disque, j’attendais que, courtesy of Mr. Broder et les gens adorables de Totally Gross National Product, Hello L. A. (West Coast d’ici) sorte une édition limitée de 50 cassettes très très belles, pas très chères, ça nous réjouit le cœur, la vue, bientôt les oreilles et c’est ici : http://store.hellola-hellola.com/product/fog-for-good/




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