En 2004, année encore sombre pour moi (ou diluée, oui, année diluée) me giflait « Antic » d’Interpol, dans ce qui est l’un des coups les plus durs que la musique m’ai donné, non seulement pour le style et l’album lui-même, sinon pour ce retour en arrière, heureux come-back a la quête des enfants perdus (et terribles) de Joy Division qu’il m’obligea a faire. Se retremper dans l’acide est un exercice de style intime, retrouver le pourquoi de nos choix sonores, réapprendre le chemin fait, retrouver ses bases dans le flou du temps passé. On dessine l’arbre généalogique d’une adolescence sonore, on fait un tri, et l’on garde sur les branches les plus fortes ceux qui resteront là, ad-vitam aeternam. Le travail passe par dénicher les alentours de cette claque, creuser dans cette chair, et découvrir ceux qui sont dans la mouvance, ceux qui promulguent cette atmosphère, qui ont su, en mutants de bon gout, survivre dans cet air, sur cette planète que Ian Curtis a engendré dans son départ. Ceux qui se sont adaptés a l’ombre.
Bien sur, cet exercice varie suivant qui l’exerce, dans la variété est la vérité, et l’a où je vais poser des noms, d’autres poseront des non. J’ai décidé de m’appuyer sur ce « Blank Mass Sessions » tout neuf de mes chers Editors pour repasser un pan d’histoire sonore, je répète, mien, et sans doute, seulement mien. Joy division a eut dernièrement un grand retour en force, mérité, même si il n’est hélas en chair et en os, ce groupe est revenu dans le panorama musical qui avait d’un coup, soudainement, besoin des armées des ombres pour contre-attaquer le pastel sucré actuel. Besoin de cicatrices. Le talent de Joy division, pour beaucoup d’entre nous, n’est pas une découverte, rendons a César ses lauriers, ce fut un groupe phare (étrange d’avoir besoin ‘adjectif lumineux pour ce groupe obscur) qui creusa un tunnel artistique dans des profondeurs où n’allaient pas tous les untel et quelconques.
Ce n’est pas un hasard si certains groupes, au retour de crises économiques et humaines, reviennent vers cette esthétique mentale, les temps sont gris, le plomb de nos esprits nécessite compassion et une certaine impression de puissance (a noter que les groupes heavy sont ceux qui ont le plus grandit économiquement et fanatiquement, je dis ça je dis tout). Interpol est un fer de lance, je rajoute White lies, The national, j’en oublie quelques uns (entre temps une période Killing Joke assez intéressante et même Marquis de Sade aurait sa place), je ne mettrai pas New Order dans ce sac perso, mais des thèmes de Eels, de Depeche Mode et tant d’autres ont une empreinte forte. J’ajoute ici, et comme premier rang des écoliers appliqués, à Editors (ceux qui ne sont pas d’accord n’ont qu’à pas être d’accord). Je suis ce groupe depuis la première chair de poule, « All sparks », en 2005, donc le temps juste pour ne pas oublier l’effet Interpol, enivré par la voix caverneusement belle de Tom Smith et son halo d’étrange étoile, je succombais a l’épaisseur de ces guitares, les ex-The pride et ex-Snowfield avaient effectivement mue de peau et offraient un premier opus intense, puissant, une véritable perceuse a percussion de murs du son, avec la dose juste de spleen et la mesure intelligente de la colère, une machine élégamment façonnée, propre, mais aux profondeurs salies d’humanité. Crasse chic. Il est vrai que je suis adepte aux groupes d’hymnes faciles, U2, Springsteen, Depeche Mode et plus récemment Elbow ou Snow Patrol ont mon accord pour peu d’épique qu’ils provoquent.
Mais j’ai aussi le gout de niveler les mérites de chacun, et Editors a un univers qu’aucun des cités ci-dessus n’a, du moins, ainsi, peut être aussi une intégrité, une assurance de ce qu’ils désirent vraiment a chaque moment et qui provoque cette continuation sans heurts de leur ascension. On peut dire que « In this light and on this evening » en 2009 fut peut être une pause, reprendre le souffle sur la marche de l’escalier, son aspect plus synthétique et son besoin de s’approcher a un Bowie trilogique, n’empêcha pas du moins a créer de véritables perles légèrement en marge de leurs précédents mastodontiques et hymniques disques, où la bande de Tom Smith avaient écrasé de leur art la sensibilité légère des débuts de 2000 en imposant leur rock élégamment dur, aux frémissements sous-cutanés, au spleen coléreux, basant certes aux sources des eighties de catacombes (Ors donc, Joy), mais infligeant aussi un regard noir sur les alentours de la musique, les images, les gestes, en fait, un marketing intime, soigné, propre, gentiment sournois.
Mais Editors poursuivi son chemin rocailleux, perdant certains sur le chemin, gagnant d’autres, s’enrichissant surement de l’avancée, et le disque suivant « The weight of your love » garda franchement la quintessence, la thématique claire-obscure du groupe (avec un grand travail de Flood), qui sans transpercer le cœur américain, enflamma de nouveau le cœur des puristes édités. C’est avec « In dreams » qu’ils finirent personnellement a me propulser dans l’univers quasi hermétique du plaisir, vrai que j’étais en ce moment intime très fragile, donc plus sensible et réceptif, mais ce disque là fut mon disque de 2015, et chacune de ses chansons a l’empreinte bien marquée d’un moment spécial de votre serviteur, j’en suis même arrivé a m’acheter une douzaine de bière « Salvation » crée par le groupe durant la promo (et pas degeux). Disque militaire, de soldats hyper-sensibles, défilés grandiloquents de plaies, nœuds de fils-de-fer sur nos nerfs, somptueux, profond comme l’Écosse où il fut enregistré, ample comme ces paysages et froids comme son ciel.
Bien sur, atteint cette apogée, le tir suivant devait être parfait, et si « In dreams » fut intense, dense, interne et presque spirituel, sa séquelle « Violence » au nom si bien choisi, se projeta comme plus dur, plus écorce, plus brut, terrien, puissant, ors donc, un pas en avant de plus. 2005-2018, treize ans de rebellions mentales, de poursuite du désir, il devait forcement y avoir un repos du guerrier (comme Ultra de Depeche Mode ou « Our love to admire » d’Interpol), mais non pas en déployant un best-off coutumier où un live anodin (bien que leurs concerts, souvent pendant de la voix de Thom, soient des moments précieux où les hymnes énormes atteignent l’intime). Non, les Editors lancent ce « Blank mass sessions », orfèvrerie de retouches de ce « Violence » qui montre autant qu’il démontre, on pourrait presque penser qu’ils n’étaient pas vraiment d’accord avec le Lp, je pense plutôt a l’ironie, revenir au son électronique de ce critiqué « In this evening on this light » pour expliquer que tout s’imbrique, comme un scenario a long court de Marvel, comme l’intégrale de Bowie, tout a été crée depuis le début, pensé, calculé, et c’est là l’objet, la preuve, qu’Editors est un groupe d’avenir avec un énorme passé Nonobstant, ce petit entremet distille de nouveaux horizons musclés, sans sombrer dans la version tecno facile, de ces idées riches qu’un Ian Curtis aurait pu avoir si son âme avait été plus forte que son cœur. Blank mass, producteur invité, a pourtant un penchant plus violent qu’Editors, ce choc entre physique et mental, arbitré par Leo Abrahams, a donné le jour a ce a-side projet, comme un disque a part, capable de vivre seul, poursuivre sa propre existence, briller par lui-même. Là encore, le groupe n’a pas déçu, naissant la liberté suffisante à d’autres, de pénétrer leur univers, c’est une manière brillante de renaitre. Enfin, il me faudra sortir de mon bain aux sels Interpol-White-lies-National, avant de finir comme un raisin sec (là je repense au trop nombreuses et certaines malheureuses versions de « Love will tear us apart », sécher une chanson de son nectar n’est pas la meilleure fin, et puis sécher ce corps jusqu’à ce qu’il puisse se replonger dans les lacs obscurs de rives dorées d’Editors.