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Chez ADA, voilà comment on bosse : il y a un fichier partagé au fil de l’eau nourri de l’actualité et des sollicitations des labels, chaque chroniqueur y piochant-picorant en fonction de son temps libre et de ses envies inassouvies. Et moi, bien scrupuleuse voiture balai, je m’occupe des artistes en fin de liste, les laissés-pour-compte et autres pestiférés.

De Stupeflip, je me souviens de leur impressionnante irruption dans le rap game hexagonal, et la dérision – disons 1,5 degrés d’ironie – qui accompagnait l’ego-trip cher au genre et la classique éloge de la défonce : « Je fume pu d’shit » a, dans les 2000s, littéralement pollué mes trajets en auto-stop dans la Bretagne profonde. Dix ans plus tôt, pas mieux, c’était les répugnants Billy Ze Kick et leur « Mangez-Moi ! Mangez-Moi ! » et encore avant, dans les années 80, on avait « Viens boire un p’tit coup à la maison », des rustres Licence IV. Demain, ce sera quoi, une chanson appelant à manger de la viande ou voyager en avion ?

En matière de hip hop français, le tournant du millénaire était mutant et les fils de bourgeois, dans la foulée d’un Assassin déjà bien implanté et plutôt premier degré, s’incrustaient sur la map, version gaudriole, peut-être que le monde était triste et que les gens avaient envie de se marrer - Stupeflip, TTC et le Klub des Loosers se chargeaient d’animer vos orgies. Toujours mieux qu’un Vincent Lagaf’ et son Bo le lavabo (WC Kiss), vous me direz, et même si on faisait surchauffer les sons d’usine des synthétiseurs, ça restait écoutable.

« Pop-Hip le mort-vivant » et son casio métal de grande surface met en scène le retour aux affaires de Stupeflip, avec un cinquième album qui commence très fort, « Dans ton baladeur (DTB) » nous mettant une grande claque derrière les oreilles. En 17 titres, tout y passe, bien fumasse, se concasse avec un cool fracas – rock, reggae, électro, samples barrés, arpèges de clavecin, field recording et claviers cheap : à travers « Stup Forever », le désormais quinquagénaire et toujours masqué King-Ju livre « un album très dark, profond, et à moment donné, je pète un coup ! C’est pour ça que le milieu ne me comprend pas trop. Je ne suis pas le mec qu’on va inviter dans une émission de télé pour parler d’un sujet. ».

En marge, mais pas trop quand même. La presse (parisienne) est à fond les ballons derrière « Stup Forever », archétype malgré-lui d’une musique de cas-social fantasmé que l’on passerait en soirée dans les appartements hauts de plafond du 16ème arrondissement, juste avant la partouze symbolique et la gueule de bois qui s’ensuivra. Cette dissonance sociologique n’enlève rien aux qualités évidentes du nouvel album de Stupeflip, mais le rend moins attachant qu’il ne pourrait l’être si King-Ju et sa clique, doigts jaunis et chicots au vent, sortaient tout droit de leur cambrousse, telle qu’en son temps magnifiée par Elmer Food Beat.