Le sixième album de Grandaddy est sorti en février dernier, mais il eut été dommage de l’escamoter, tant la formation à géométrie variable menée par Jason Lytle – alors que les 90s agonisantes ne savaient plus sur quel pied danser (rock ou électronique ? Les deux mon capitaine !) – nous rassasia, à coups d’irrésistibles pop songs distordues et de ballades belles à pleurer : bricolés, spontanés, inspirés, tels sont Under the Western Freeway (1997) et The Sophtware Slump (2000), sachant que le troisième opus (Sumday, 2003) n’est pas honteux, mais voilà, la magie s’estompait, nous avions lâché l’affaire. Ensuite, c’est le classic shit : essoufflement, crispations, rasage de barbes, disques solo (pour Jason), reformation honorable (Last Place, 2017), décès du bassiste Kevin Garcia, déprime, expérimentation patrimoniale (Sophtware Slump ..... On a Wooden Piano, 2020) ou patrimonialisation tout court (Sumday : Excess Baggage, 2023), jusqu’à ce Blu Wav, gorgé d’émotions et de pedal steel guitar, qui vous emmène tout en haut (ou tout en bas, même résultat) – pas pu écrire une seule phrase en l’écoutant, tant j’étais happé par la beauté sidérale des treize compositions offertes par un Grandaddy en équilibre permanent au bord du précipice. Déchirant. Les décennies passent, mais ni le temps ni la vie et ses affres n’ont de prise sur la délicatesse dont Jason use pour ériger, avec peu d’artifices, des mélodies d’apparence simple, chantées d’une voix douce et blanche, qui instantanément se gravent au creux du cœur : ballades, ritournelles et complaintes, parfois teintées de country folk, rythmique discrète, peu de synthétiseurs, harmonies entre chien et loup, tout sonne juste, d’autant plus que l’on retrouve sur ce merveilleux Blu Wav les inflexions vocales chères à Jason Lytle, ainsi que ces suites d’accords immédiatement identifiables, et qui nous réconcilient avec un groupe que nous avions, peut-être à tort, abandonné trop facilement. Retour en grâce pour Grandaddy et, sans nul doute, un des sommets musicaux de l’année.