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S’est-on un jour inquiété pour la santé musicale de Laetitia Shériff ? Non, bien sûr. Depuis maintenant dix ans, l’auteur de « Codification » incarne notre première dame indie-rock ; comme une cousine avec qui nous partagerions une même discothèque intime. La confiance qu’inspire chaque nouvelle sortie de Laetitia Shériff tient peut-être à son constant besoin de brouiller les pistes sans ne jamais perdre en route le cercle de ses admirateurs. Aussi, qu’elle tente l’expérience de groupe (Trunks) ou s’investisse dans un ciné-concert (« Sa Majesté des Mouches »), Laetitia Shériff donne toujours la sensation d’une régénérescence lui permettant de revenir ensuite, avec sérénité, vers des disques limite autobiographiques, parfois à vif, autopsie sonore de l’actuel état d’esprit abordé par la musicienne…

Une constante, pourtant : les disques de Laetitia Shériff fascinent dès la première écoute, impossible néanmoins de réussir à retranscrire en mots les sentiments qu’évoque ce rock caverneux mais réconfortant, ce rock tendu mais harmonieux. Avec Laetitia Shériff, prendre la peine de constamment revenir sur chaque album ; ne pas hésiter à creuser les chansons, à les faire tourner en boucle (geste aisé tant l’accoutumance est toujours immédiate) ; chercher à comprendre la plénitude ressentie par l’auditeur…

« Pandemonium, Solace and Stars » ne déroge pas à la règle involontairement édictée par les trois précédents : la Shériff met d’abord KO par cette capacité à transcender des modèles lui étant chers (pour aller vite : Sonic Youth, Neil Young, Smog) ; elle oblige ensuite l’auditeur à constamment revenir vers l’album pour s’y délecter, s’y lover, le savourer ; in fine, il s’agit, pour l’accro, de comprendre en quoi et pourquoi cette musique, bien que référencée, lui parle aussi intimement (et parfois, aussi, douloureusement) ?

« Pandemonium, Solace and Stars » pourrait fournir un semblant d’explication au « syndrome Laetitia Shériff » (enthousiasme immédiat / accoutumance / tentative de rationaliser cette musique fuyante).

Ce quatrième album possède tout ce que l’on adore chez Laetitia Shériff : les ambiances sèches dominées par un répétitif accord de guitare (« Opposite », façon « To Bring You My Love »), de soudaines explosions punk-rock (« Wash »), une texture tribale qui vire soudainement pop (« The Living Dead »), des formes d’incantations folk-rock (poignant « To Be Strong »)… « 

Pandemonium, Solace and Stars » révèle pourtant un aspect ludique, moins chauffé à blanc qu’à l’accoutumée. Laetitia Shériff, dans l’art du disque intimiste, semble, cette fois-là, vouloir chercher l’aération, le plaisir du jeu, la transe musicale (on pense souvent au lâcher-prise de Neil Young & Crazy Horse). « Pandemonium, Solace and Stars » : du rock qui réussit l’exploit de sonner tel un bloc de granit possédant la légèreté d’un baiser tendre, une écriture et une production qui insufflent de la brise au centre du magma électrique ici dépeint, de la douceur en temps de guerre, une violence qui n’en est pas une…

Du coup, face à l’élixir « Pandemonium », on comprend mieux notre difficulté à retranscrire les sentiments perçus dans les albums de Laetitia Shériff… La plupart des grands musiciens établissent une identification avec leurs fans ; un lien à partir duquel les blessés de la vie se sentiront flattés d’éprouver des émotions identiques à celles décrites dans certaines chansons. Chez Laetitia Shériff, il y a bien plus qu’une identification : cette fille rassure, elle offre des solutions plutôt qu’elle ne pointe du doigt les maux dépressifs, elle réveille les démons pour mieux cajoler les possédés…Laetitia Shériff appartient à cette noble lignée musicale qui refuse d’accabler l’auditeur pour préférer le serrer dans ses bras.

www.laetitia-sheriff.com