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Au collège, il nous fallait souvent apprendre une poésie. Pour obtenir 20/20, celle-ci devait pouvoir se réciter au mot près. La musique française, depuis quelques mois, fonctionne sur un principe similaire : du par cœur studieux. Sauf que, bien évidemment, tout le monde s’en cogne : lorsque Paradis, Cléa Vincent ou The Pirouettes dupliquent Daho et Chamfort, ils formulent ainsi un modèle de création aussi vain que bourgeois (la technique avant la nécessité, le duplicata scolaire et l’absence de soi-même) – voir les textes : lamentables. L’éducation nationale devrait interdire l’usage du par cœur : certains parmi les meilleurs élèves finissent un jour par devenir musicien, et leur vision du monde ne se traduit qu’en fonction des bonnes notes reçues (jusqu’à pleurnicher à la moindre critique). C’est que beaucoup résonnent toujours en termes d’accords plutôt que de sonorités. Les accords se suivent et se ressemblent, ils respectent la logique du Conservatoire ou du « bien faire » ; inversement au son qui, lui, permet l’erreur, la structure cassée, le bancal, donc la liberté.

N’importe quel musicien fortiche vous l’affirmera : le plus dur n’est pas d’apprendre mais d’oublier les préceptes – seule condition pour construire une musique qui partirait du cœur au lieu de s’arrimer (façon Oui-Oui) sur une grille harmonique dont même les actuels profs de musique en soupçonnent dorénavant le dangereux formatage.

En 2016, de nombreuses musiciennes (au background pourtant robuste) ont cherché la fêlure, ce point où les connaissances techniques permettent de n’en faire qu’à sa tête. Sur un angle atmosphérique (Eskimo), surréaliste (Léopoldine HH.), ancestral (Fantôme), déclamatoire (La Pietà) ou faussement classique (Pauline Drand), les filles sont aujourd’hui bien plus punks que les garçons (des fils à maman, pour la plupart). Au moins, que l’on aime ou pas leurs dernières sorties, il faut reconnaître, chez ces musiciennes, l’affirmation d’un univers, le refus du A+B=C.

Mira Cétii (alias Aurore Reichert) est une sorte de Laura Palmer (ni femme ni enfant) qui oublie toutes les leçons. La construction de son propre monde se fait d’ailleurs par étapes successives : pas question de forcer la porte de l’auditeur via un premier album qui exprimerait l’intégralité de cette individualité, mais, a contrario, enregistrer une trilogie (Ce que les étoiles commettent) qui, à chaque nouvel EP, en dévoilerait un peu plus sur l’artiste compositrice.

En fait, la personnalité de Mira Cétii est tellement gargantuesque que l’écoute de Persée (le volume 2) exige une attention particulière. Programmations, basses, guitares et voix dessinent, à première vue, des contours, des volutes, des creux et des bosses. Ni rock ni électroniques, les morceaux déclinent ce que l’on ne saurait décrire autrement que par le mot « ambiance ». Les structures logiques s’en prennent un coup, il faut parfois suivre le cheminement mental de cette musicienne qui, semble-t-il, refuse de faciliter l’écoute douillette.

Immense qualité qui pourrait sombrer non pas dans l’hermétisme, mais dans ce travers qui voit certains musiciens internationaux privilégier l’atmosphérique au détriment de la chanson (Radiohead, cette année, étant l’exemple le plus flagrant) – entre le duplicata Paradis et l’abscons Radiohead, le chemin intermédiaire nécessite un pointilleux dosage.

Sauf que la musique de Mira Cétii s’assemble autour du presque. Les six titres de Persée sont presque pop, presque rock (Matinale, du PJ Harvey qui n’en est pas), presque claustro. Entre le tube et le souhait de casser l’attendu formalisme, entre le savoir technique et le besoin d’affirmation, Aurore Reichert y déniche un sentier en trompe-l’œil : la tournure pop est certes présente, mais elle est déviée ; de la même façon que la prédominance atmosphérique ne s’apparente jamais à une profession de foi puisque, de-ci de-là, un clavier, une rythmique, un chant refrain, viennent soudainement ramener Persée vers des contrées terrestres, concevables, « universelles ».

Eskimo, Léopoldine HH., Pauline Drand, Fantôme ou Mira Cétii ont en commun une chose admirable : elles jouent avec leurs connaissances harmoniques, tout en ayant conscience qu’il leur faut trouver un juste milieu entre le facteur pop et l’idée d’expérimentation. Soumettre le public à l’imprévu, sans toutefois le perdre. Aller aussi loin que possible dans la folie (euphorique, mystérieuse, romantique – toujours musicale) mais, quoi qu’il arrive, garder un pied sur le sol terrestre.

Déstructurer les connaissances, s’amuser avec l’acquis, appliquer hasardement le solfège du moment que cela sonne bien. Musique mutante, qui émeut et prend à rebrousse-poil, musique face à laquelle il est plus facile de s’identifier qu’en écoutant les récitations de certains fayots (masculins).