Un soir de janvier 2016, j’ai dîné à Brest dans une crêperie du port de commerce et, à table, il y avait du beau monde : Eloïse Decazes, Sing Sing et Ernest Bergez (Sourdure). Hormis du soda, je n’ai rien avalé, trop la gueule de bois, et pas prononcé un mot non plus. En présence de musiciens, je ne sais jamais quoi dire, ils sont dans leur bulle, tous les soirs des gens leur parlent, parlent et parlent et parlent encore, ça doit être usant – cauchemardesque pour le misanthrope que je suis – et donc, j’en ai bien conscience, cette anecdote n’a strictement aucun intérêt, à part introduire les protagonistes de « Turnetable », le sixième album de Arlt, enregistré at home à Thiers, riante cité du Puy-de-Dôme qui a vu naître la merveilleuse Claire Chazal.

Publié en mai dernier par le label Objet Disque, « Turnetable » a récolté une moisson de critiques dithyrambiques et honnêtement, tandis qu’enfin je prends le temps d’écouter cet album aussi fort aimé, je ne sais quelle pierre ajouter à un édifice qui monte déjà très haut dans le ciel de la chanson française bidulée.

Mes estimés confrères chroniqueurs ayant épuisé l’intégralité du champ lexico-sémantique de l’étrangeté, il me reste quoi ?

Soyons simples et synthétiques. À mon sens, la très grande particularité de « Turnetable » ne réside pas dans son assemblage hétéroclite d’arrangements malins et décalés, ni ses textes dadaïstes à tiroirs ou ses chants distanciés, mais bien par le folklore dans lequel les onze titres proposés puisent leurs racines : dans son jardin débraillé, Arlt organise une partouze lofi entre Charles Trenet et Bobby Lapointe, avec Raymond Devos en maître de cérémonie. Il faut vraiment n’avoir aucun snobisme pour invoquer de telles figures tutélaires mais cela permet de mieux appréhender la place unique qu’occupe le duo dans le paysage musical. Arlt n’est ni dedans ni dehors, libre comme l’air, Arlt se promène le long des frontières.