Saisissante complainte folk slowcore, lacérée de stridences orageuses et de vocalises aériennes, Birds ouvre avec une grâce crépusculaire A Run On Thin Ice, le premier album des bordelais de Suif, groupe formé fin 2010’s autour de la chanteuse et guitariste Camille Dalby. Épaulée par Maxime Coste (Kubota), Étienne Redon et Guillaume Cassagnol (tous deux ex-membres de Lonely Walk), Camille se livre à un exercice de haute volée, conjuguant son goût des mélodies, des harmonies, des atmosphères déclinantes, dans une grammaire stoner, post-rock et noise : l’on pense à Chelsea Wolfe mais pas que, tant le registre exploré par le quatuor durant les huit compositions de A Run On Thin Ice est bien plus complexe, à l’instar du grondant Wind, magnifié par un long pont minimaliste de toute beauté que ne renierait pas Low, où la rage rentrée se pare d’un presque silence. Plus loin, mariant folk gothique et rock garage psychédélique (Kristin Hersh meets The Black Angels), Hollow enfonce le clou, tandis que l’atmosphérique February et son clavier de kermesse des morts nous entraîne dans un spleen indéniable, il s’agit de creuser la noirceur. Mais dans les recoins, le lancinant Burning Sun ou l’éthéré Rain, zébré de contrepoints rythmiques à la pesanteur affirmée, la lumière, certes diffuse, toujours brille. Quand Suif lâche les chevaux rock, comme sur le magnétique Thirst – texte perçant, basse antédiluvienne, guitares acérées –, il les voue à se plonger dans un bien sombre Ladoga – le délicat Thin Ice fera office d’épitaphe. Quand on parcourt un lac gelé (sauf si l’on s’appelle Liam Neeson dans le réjouissant navet Ice Road), l’on prend le risque de finir en statue de glace. Impressionnant de maîtrise, fort d’une production brute et néanmoins nuancée, A Run on Thin Ice est véhément, vénéneux, vespéral, et surtout : viscéral.