Chanter des mots qui n’existent pas, dans une langue onomatopéique façonnée au gré d’imprévisibles cheminements harmoniques, à cheval entre Sesame Street, DakhaBrakha et Sixteen Horsepower : telle est Bla Bla, l’intrigante ouverture du nouvel album de Boucan, transe folklorique à base de banjo, de violon crin-crin et de chœurs volontaires, dont la théâtralité assumée transcende la potacherie, en partie grâce à une production soignée (et signée John Parish), magnifiant l’acoustique – couleur et chaleur – des instruments convoqués à la grande parade tragico-burlesque qu’est sans nul doute l’intrigant Ballad of John Kairos. Remarqués en nos pages lors de la sortie en 2019 de l’opus Déborder (où l’on évoquait pêle-mêle Electric Bazar Cie et The Ex), Mathias Imbert et Brunoï Zarn prennent un malin plaisir (contagieux) à brouiller les pistes, à l’instar de l’incantation psyché-vaudou Kissos Milaou, arrangée à coups de guitare bidon, d’arpèges électroniques ultra-cheap et de rythmique mouvante (un zeste de dub et de maloya), de l’instrumental Hannah 89, jumeau western de Come Together porté par une ligne de contrebasse souple et répétitive, ou du klezmer mutant Lola Des Villes et ses vocalises hypnotiques signées Lior Shoov. Accompagné par Bastien Pelenc, le duo n’en oublie pas d’émouvoir, et plus particulièrement lorsqu’il offre à G.W. Sok un patient écrin mélodique, lente tension progressive digne des Tindersticks, pour un spoken word en néerlandais, la langue des Nits mais pas que – Gedoe Met Geluid se traduit par « problème avec le son » : évidemment, Boucan n’en a aucun, de problème avec le son, tant le disque sonne bien et, sur le final puissant de Sinatra 62, encore mieux que bien.