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L’art c’est d’abord une rencontre. Une rencontre entre l’œil et le tableau, qui traverse la tactilité interdite de la sculpture. La rencontre entre l’oreille sensible et le vacillement de la voix tremblante.

L’art c’est d’abord une rencontre, cet exact instant opportun, cette fusion certaine entre une émotion et une curiosité.

Cela faisait quelques mois que j’avais repéré ici et là ce Baptiste Walker Hamon au patronyme inattendu. Comme une mêlée affirmée d’américanité jouant avec les codes de l’hexagone.

Cet EP du Baptiste en question, c’est un peu cela et bien plus encore. Convoquant tour à tour Serge Reggianni, Françoiz Breut mais aussi Townes Van Zandt cité par là.

Au long de ces 6 titres, nous penserons parfois à la beauté chaude des chansons de Marianne Dissard, à un Facteurs Chevaux plus sec.

Etrange addition que cette voix gouailleuse, ce folk marqué par celui de Papa, ces réminiscences de ballades le long de l’Yonne.

Retour à cette maladresse, celle des pas de l’enfant, son regard flou face au monde avant les certitudes, avant les visages blêmes ("Les Bords De L’Yonne").

La musique alerte et douce de Baptiste W. Hamon s’égare dans des enfances prisonnières mais la vie est toujours plus forte que la haine de soi. Musique empathique et complice ("Comme La Vie Est Belle").

Pas de pose, pas de posture, pas de fermeture, pas d’emphase, pas de paravent qui ne masque rien, pas d’impudeur qui ne révèle rien, pas de plaie qu’on se plait à fouiller.

Juste la certitude du "peut-être", la possibilité des "Si", la confiance en les "et si j’avais dit, si j’avais fait, si j’avais su", la consolation de la procrastination, les amnésies de l’œil qui ne voit pas.

C’est de ces incertitudes là que naît la sensibilité qui fait pleurer les vieux légionnaires, ces musiques voyageuses qui longtemps seront en nous. La fragilité assumée,le contre chant fragile d’Alma Forrer, le classicisme ajusté de "Peut-être que nous serions heureux" font remonter à la surface ces presque intimes, ces Ferré, ces Pascal Bouaziz, ces Orso Jesenska.

Puisque nous parlons de l’auteur d"’Un Courage Inutile", force est de reconnaître que sans se l’expliquer nous penserons au marseillais ici.

Ou cerner cette communauté là ? Peut-être cette même tristesse solaire, cette mélancolie sans photo jaunie, sans facilité indigne.

Peut-être aussi l’influence de Yves Simon chez les deux musiciens, ce chanteur à l’empathie lucide, à la tristesse tendre qui n’oublie jamais de vous égratigner, de vous gifler sans violence, de vous griffer.

Chez Baptiste W. Hamon, pas de superflu ni d’artificiel tant du côté des arrangements riches mais jamais hâbleurs ni arrogants que du côté des textes qui ne cherchent pas à vous perdre.

"Dans les flots bleus de nos ivresses

dans les battements gris de ton cœur

il y a ces lacs de tendresse

il y a ces latentes douleurs

Si nos mal êtres devaient faiblir

et si nous perdions la raison

Aurait-on la force de vivre

d’embrasser enfin l’horizon ?

Dans l’idéal de nos paresses

dans tous les relents de nos peurs

il y a l’image d’une princesse

il y a ces livres salvateurs

si nos frissons devaient grandir

si l’indigence nous rendait fiers

Aurait-on la force d’écrire

ce que nos larmes ont de mystère ?

Et comme la vie est une chance

lorsque tu prends dans telle main mon innocence

et si demain était à faire et rien n’a d’importance

Avec moi, voudrais-tu ma belle quitter l’enfance ?

Dans l’océan de nos jeunesses

dans le silence et la candeur

Il y a ces envies de caresse

Il y a ces changeantes humeurs

si nos tristesses devaient mûrir

si nous comprenions nos erreurs

Aurait-on la force de fuir et de plonger dans l’ailleurs

de nous plonger dans un ailleurs qu’on espère tous un peu plus clair, un peu plus proche du bonheur

et si l’amour était à faire, si la vie est une danse

Avec moi, voudrais-tu ma belle quitter l’enfance ?

Dans la fusion de nos sagesses

dans toutes nos soifs de savoir

Il y a l’image d’une faiblesse

Il y a ce sourire dérisoire

si nos passions devaient pâlir

si l’ignorance nous rendait fiers

Aurait-on la force d’écrire

ce que nos larmes ont de mystère ? "

Baptiste W. Hamon croit en ces êtres des marges, des déglingues, de la dèche avant d’en arriver à l’ ance, ces inadaptés à l’arythmie fiévreuse de nos vies, ces gens qui se plaisent à douter comme un rappel d’Anne Sylvestre. Ces vies comme des suicides lents qui ne s’assument pas, ces vies comme des bouteilles qui ne se vident jamais, ces pieds nickelés sans malice, ces "Hervé" là sur les dunes qui nous regardent du haut de leur jeunesse éternelle et qui déjà se confondent avec le sable,ces Van Zandt disparus de trop se noyer avec Jack, Daniel et la lady en velours noir.

Quand quelqu’un meurt, la première chose, le premier détail qui la met du côté des disparus,qui la chosifie, c’est le timbre de sa voix qui se perd, qui se brouille. Les traits de son visage, d’une humeur, d’un rictus qui se figent ou s’estompent. Baptiste participe de ce cortège funèbre, de ceux qui toujours s’excusent d’être trop là, d’être encore là, toujours convaincus d’être trop bruyants, d’être sans intérêt, d’être à peine un élément gazeux, une insignifiance , une révolte sans idéal. Cette signature qui ne trouve du sens que dans son épitaphe. Car chaque voyage n’est qu’un vol illusoire, qu’un mirage, qu’un retour à poste restante, qu’une lettre morte. Car seule compte la rencontre.

bbaptiste.blogspot.com/