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Interview réalisée par email le 19 décembre 2003 avec l’aide de Simmo.

Sufjan Stevens est un homme à part…Auteur d’un album absolument magnifique, Greetings from Michigan, vous allez avoir la chance de pouvoir vous procurez ce magnifique objet puisque Michigan va être distribué en Europe d’ici quelques temps. Alors ruez vous sur Michigan....

Tout d’abord est ce que tu pourrais te présenter ?

— Sufjan Stevens : Je m’appelle Sufjan Stevens. C’est un prénom qu’on entend pas souvent ici, mais il est assez courant dans les pays musulmans. Je ne suis pas musulman et en fait ce ne sont pas mes parents qui m’ont donné ce nom. Ils étaient dans une sorte de secte dirigée par un Indonésien qui s’appelait Bapak. Il m’a nommé Sufjan. Sufjan signifie " venu avec une épée ", mais je ne sais pas trop. C’est un peu compliqué en fait. Je suis né à Detroit, Michigan.

Peux tu nous parler un peu de Michigan ?

— Sufjan : Avec ce disque j’ai voulu mettre en chanson des histoires sur l’état du Michigan. Toutes ces histoires parlent principalement de mon enfance, du fait de grandir à Detroit, des parties de pêche dans la Maple River, ou de la visite du Soo Locks avec mes parents. J’ai passé presque toute ma vie dans le Michigan. Du coup, j’y ai beaucoup de souvenirs, et je trouve que ce disque est comme un remerciement à l’endroit qui m’a façonné en bien ou en mal. Bien sur la plupart des chansons parlent de choses qui ne me sont pas forcement arrivées, les lieux sont réels mais pas forcement les faits.

Je trouve que Michigan ressemble à Eureka de Jim O’Rourke. Que penses tu de lui ?

— J’ai en effet entendu beaucoup de gens faire la comparaison avec Jim O’Rourke. C’est un énorme musicien. En fait, je n’écoute pas trop ces disques mais j’adore son travail de production et les arrangements qu’il fait. J’adore ce qu’il a fait avec Stereolab et sur le premier album d’Edith Frost. Il sait parfaitement tout coordonner. Je ne me sens pas vraiment proche de ce qu’il fait, parce qu’il fait partie d’une autre génération d’artisan du son, il est plus âgé, il est de Chicago et je ne l’ai jamais rencontré. Mais si j’avais l’opportunité d’enregistrer avec lui, ce serait un projet très intéressant.

Michigan a reçu de très bonnes critiques. Qu’en penses tu ?

— Jamais je n’avais songé recevoir autant de choses positives. Je suis vraiment très honoré et un peu con devant tout ça. Je me fiche un de la presse mais je ne peux pas m’en plaindre non plus. C’est très encourageant bien sur, mais c’est important de savoir que ce que tu fais ne dépends pas des opinons des autres. Nos opinions sont tellement versatiles que nous ne devrions pas y accorder autant d’importance.

Comment écris tu tes chansons ?

— Je n’ai pas de système pré établi pour l’écriture parce que j’utilise différents instruments pour l’écriture : le piano, la guitare et le banjo, qui selon moi, sont phonétiquement et physiquement différents. Mais je démarre normalement avec plein de bouts de chansons. Je passe pas mal de temps devant mon piano, sans savoir quoi jouer. J’essaye différentes choses avec la rythmique ou en désaccordant mon banjo. C’est important d’être perdu ici. C’est important de laisser ses idées flâner. Je me laisse du temps avant de travailler une mélodie. C’est un processus de découverte et de surprise. J’essaye de m’échapper de ma " zone de confort ". En fait dans Michigan il y a pas mal de chansons en 7/8, 5/4 ou 12/8. En faisant cela je sors du cadre classique du 4/4 de la pop song et j’évite ainsi ma " zone de confort ", quelque chose qui serait trop facile. J’essaye également différents accordages. Par exemple un mi majeur ne peut pas bien sonné sur un piano et etre superbe sur une guitare. Je pense que c’est important d’écouter de la musique qui puisse t’inspirer et te lancer des défis. Pendant Michigan j’écoutais beaucoup de jazz des 60’s, Brian Eno, Stereolab et Yes. Quand tu écris une chanson tes influences et ta propre personnalité ont le même effet sur la chanson finale, c’est ce qui la rend unique. Je pense que cet album m’a permis de connaître un peu mieux ma personnalité.

Tes premiers disques étaient plus expérimentaux, comment les vois tu aujourd’hui ?

— C’est dur de jauger mon premier disque, parce qu’il représente une période particulière de ma vie (quand j’étais à l’Université), qui est désormais très loin. Mais plutôt que de juger ce disque, je préfère l’apprécier pour ce qu’il est. J’aime mon deuxième album, celui avec les signes chinois. Ce fut un tournant pour moi, musicalement. C’est d’ailleurs mon disque préféré. C’était important pour moi de faire autre chose que d’écrire des chansons et d’essayer de faire des morceaux plus électroniques sans ma voix. C’est important d’essayer des nouvelles choses. Je pense j’essaierai toujours de tester de nouveaux genres musicaux. J’aimerais écrire une comédie musicale. Et une bande originale pour un film aussi. Et je veux jouer dans un groupe de punk. Ce sont quelques tentations. Mais je veux que tout ce que je fais sonne vrai aux yeux des gens. Ca c’est un vrai test…Que penserons les gens de ces chansons dans vingt ans ? J’essaye de faire de mon mieux, de donner tout ce que j’ai, de faire de la musique à la fois passionnante et libre et d’écrire des chansons généreuses et joyeuses.

Comment te sens tu d’un point de vue musical dans ce monde où n’importe qui peut devenir une star sans avoir de talent ?

— J’ai appris très tôt que le talent et la popularité ne vont pas forcement de paire. Il y a des gens qui sont bons pour mauser les autres, ou pour faire des affaires. Et tant mieux. C’est un métier en fait. J’essaye de ne pas trop les critiquer parce qu’en fait ils ne font que leur boulot. Je n’ai pensé vivre de la musique. J’ai d’autres moyens de me faire de l’argent en moins de temps. Je suis designer et j’enseigne l’écriture. Ca me suffit pour vivre. La musique est une passion et ce n’est pas facile d’en vivre, alors pourquoi je devrais tout abandonner et me ruiner ? Je pense que si on essaye de faire encore de la meilleure musique, peut être que les gens auront envie de l’écouter et peut être qu’on pourra en retirer quelque chose. C’est mieux de considérer le succès d’une chanson grâce à sa valeur esthétique, plutôt qu’en fonction des goûts du public ou du marché. Mais je suis d’accord avec toi ce business c’est très triste.

Quelles réactions aimerais tu que les gens aient à l’écoute de Michigan ?

— Je n’attends pas grand-chose…c’est à toi de remplir les blancs que le disque peux procurer. Par exemple, quelqu’un de Paris ou de province n’a aucune idée de ce qu’est un trailer home (mobile home) dans l’Upper Peninsula. Vous avez de la chance de ne pas connaître cela. Les détails sont faits pour rendre l’histoire et les personnages crédibles, mais pas tout le monde ne saura les reconnaître. C’est ce que tu peux lire dans Checkov ou Calvino. Je ne sais pas vraiment ce que c’est que d’être dans un bar russe surpeuplé, mais je peux le l’imaginer très facilement car l’histoire est décrite avec tant de clarté et de sens du détail, que je peux m’immerger aisément dans l’histoire. J’espère que Michigan peut faire cela, j’espère pouvoir te transporter vers un endroit qui est géographiquement aux USA mais qui émotionnellement est ton cœur.

Tu aimes la scène ? Ça t’apporte quoi ?

— Au début j’étais terrifié quand il fallait que je monte sur scène, mais j’ai appris à l’aimer. Ca représente beaucoup de travail, surtout avec la musique que je joue. Ces chansons demandent énormément de concentration, pour moi mais aussi pour l’auditeur. Plus tard j’ai pu jouer avec un groupe et ce fut beaucoup plus cool. On essaye de tout donner. Je ne suis pas un perfomer alors j’essaye d’être le plus généreux possible avec mes chansons. Enregistrer des chansons ne me pose pas de problèmes, mais jouer live me demande de très gros efforts. Mais ça me donne de plus en plus de joie de jouer live, surtout quand tu es conscient que tu vas avoir une relation particulière avec le public. Il surveille ta moindre parole et toi tu essayes de comprendre ce qu’il pense. C’est un truc supernaturel ! Je pense que le fait d’avoir jouer avec la Danielson Famile m’a beaucoup aidé. Je n’en serais pas la sans eux aujourd’hui .

Dernière question, tu écoutes quoi en ce moment et peux tu nous dire ton top ten ?

— En fait je n’écoute pas souvent de la musique. J’essaye de garder mon esprit vierge. Je n’ai même pas de chaîne hi fi. Mais quand l’envie m’en prend, j’écoute Steve Reich " Music for 18 Musicians " et tout Neil Young période 1969-1979. J’adore les premiers disques de Yes, le travail de Benjamin Britten, Nick Drake " Pink Moon ", Willy Nelson, les compositeurs impressionnistes français, Dolly Parton, the Danielson Famile, et ce groupe signé sur Secretly Canadian, Manischevitz.