> Interviews



François Joncour : Pour revenir un instant aux textes, pourquoi avoir, majoritairement, choisi de les parler plutôt que de les chanter ?

Pascal Bouaziz : Ce ne sont pas des textes qui appellent le chant. Quand on chante, on est dans le lyrisme, on est presque dans l’enthousiasme. Je me dis que si quelqu’un s’essayait à chanter ces textes, il aurait vraiment l’air d’un idiot. Je repense à la fin de Brel sur Les Marquises : il ne chante presque plus. Par exemple, dans une chanson comme "Orly", il y a juste quelques passages chantés. Ce sont les moments où il bascule dans l’espoir ou dans la volonté de s’illusionner. Alors que dans mes textes, on est de l’autre côté, on a perdu l’illusion, on a perdu cet espoir. Mais il y a quand même, comme à la fin de "La Force Quotidienne du Mal", un moment d’acceptation. On y reconnaît que le monde va très mal, que les gens vont très mal. Et dans le fait de reconnaître ce qui me semble être la réalité, il y a quelque chose de beau qui peut naître. D’ailleurs, je suis ahuri de voir à quel point les gens vont mal. Mais pourtant, ils font semblant d’aller bien… Plus on a la tête sous l’eau, plus on ne veut pas remonter. On veut continuer à oublier qu’on a la tête sous l’eau et continuer à couler.

François Joncour : Il y a peu de mélodies sur ces trois disques, pourquoi ?

Pascal Bouaziz : Ce n’est pas un album mélodique, on n’est pas du tout dans la pop mélodique, pas du tout, pas du tout. On peut faire une musique qui soit belle sans être dans la recherche de la mélodie. Même quand c’est dur, quand les guitares sont bruitistes pour moi c’est beau. Un portrait de Francis Bacon, c’est plus beau qu’un champ de fleur par un peintre amateur et pourtant, les fleurs, c’est joli… Mais moi, ça me semble moins joli qu’un portrait de Francis Bacon. Parce que j’y vois plus de force, de crudité, de cruauté, et ça, ça me fait un effet beaucoup plus puissant. Ce qui n’empêche pas que dans un tableau noir, il y ait une pointe de lumière qui mette ce noir en valeur.

François Joncour : On pourrait donc dire que ce disque est d’un noir brillant ?

Pascal Bouaziz : Oui, ça n’est pas crasseux, c’est un noir poli, c’est travaillé.

François Joncour : Ce côté très sombre est en permanence contrebalancé par une énergie folle…

Pascal Bouaziz : C’est super parce que c’est l’intention… Encore une fois, affronter les choses, ça me donne de l’énergie. Me mettre la tête sous l’oreille, non, ça ne me donne pas d’énergie… Fermer les yeux non plus. Mais les ouvrir, même quand c’est horrible ce qu’on voit, ça me donne de l’énergie de le voir. Détourner les yeux, ça ne me donne jamais un bon sentiment. Par ailleurs, les choses qui me dépriment réellement, ce sont les films pour enfants faits pour les adultes. Ca, vraiment, pour le coup, ça me déprime complètement. Ce ne sont pas les œuvres noires qui me dépriment, elles me donnent au contraire beaucoup de force et d’énergie. Vie et destin de Vassilii Grossman ou Kurosawa ou Bergman ou Un homme qui dort de Georges Pérec, ça me donne beaucoup de force. Mais les films pour « enfultes »… Que tout le monde aille voir le même film intergénérationnel en même temps, et que tout le monde y trouve son compte, là oui, ça me déprime !

François Joncour : Vous pensez que ce disque peut recevoir un succès public ?

Pascal Bouaziz : Il y a une partie de soi qui attend le succès et une partie de soi qui est réaliste et qui sait ce qu’il propose. Et pour le coup, je pense que c’est un disque très difficile. Tous les retours que j’en ai sont très enthousiastes mais ils disent : « Quand même, c’est très rude ! ». Je suis très heureux du disque, j’en suis très fier, je l’aime beaucoup mais je sais qu’il est difficile. J’espère qu’il aura un succès critique avec les gens qui écoutent beaucoup de musique, qui sont attentifs. Je pense aux « happy few » de Stendhal. J’espère qu’il aura du sens pour eux, qu’il sera aimé par eux. Et, de toute façon, j’écris pour eux. On a fait un tee-shirt pour l’album précédent qui s’appelle « J’aime pas les gens ». Un ami me racontait qu’il était allé dans une soirée à Roubaix et, par hasard, la personne qui lui a ouvert la porte avait le tee-shirt « J’aime pas les gens ». Pour moi, c’est un cadeau incroyable. On fait des chansons, on fait des tee-shirts très bizarres et, non seulement, les gens l’achètent mais ils le portent. Ca me donne une force et une joie incroyables. Ils sont là, ils écrivent sur le site de Mendelson, ils sont impatients d’entendre l’album et j’ai beaucoup de bonheur à me dire que le disque est attendu. Il n’est pas attendu par 60 000 personnes, il est attendu par 4 000 personnes. On n’écrit jamais, dans sa tête, que pour une personne ou deux. Et là qu’il y en ait 4 000, c’est génial ! Ces personnes sont fidèles et passionnées. Dans un bouquin, l’auteur disait que n’importe quel artiste échangerait 100 lecteurs contemporains contre 10 dans 10 ans et 10 lecteurs dans 10 ans contre 1 dans 100 ans. Je ne suis pas d’accord ! Je n’échangerais pas les auditeurs qui sont là, qui attendent le disque et qui l’ont acheté. C’est à eux que je parle.

Crédits Photos Emmanuelle Bacquet

Partie #1

Partie #2