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Préserver le roseau, plante indissociable de nos étangs et marais auxquels ils apportent une indéniable touche mélancolique, quelle drôle d’idée lorsque l’on sait qu’il s’agit d’une espèce tout à fait invasive – notamment sa variante à plumeau, l’herbe de la pampa, connue pour son extension rapide et difficile à contenir. Mais il y a qu’Ésope puis Jean de la Fontaine en louèrent la souplesse, qui lui permet, à l’instar d’un esprit agile, de plier dans le vent pour ne point rompre ; Jean Anouilh préférera le chêne, mais c’est une toute autre histoire. Au delà de l’espièglerie de son patronyme, le duo The Reed Conservation Society s’est fait remarquer ces dernières années par la publication d’une trilogie de EP anglophones, chaleureusement chroniqués en ces pages et à glisser dans la discothèque idéale de toute âme sensible, entre Belle & Sebastian, les Catchers et The Pales Fountains. Depuis 2019, les franciliens Stéphane Auzenet (bassiste de feu Verone) et Mathieu Blanc, qui avaient pour l’anecdote repris The Mountain Law dans le cadre du tribute ADA consacré à Viva Last Blues (opus majeur de Palace Music), œuvrent dans la pop au sens le plus noble du terme, érudite, gracieuse et mélodique, mais avec leur premier album – La Société de Préservation du Roseau, publié par Violette Records (Beatowls, Alex Pester, Meaning of Tales) – opèrent un virage à 180 degrés, passant de la langue de Shakespeare à celle de Molière, un choix délicat quand on sait à quel point la variété française affadit tout sur son passage. Pourtant, dès l’ouverture de À cœur joie, flow tranquille dans la lignée des Objets ou d’Étienne Daho, basse ronde et guitares cristallines, nous sommes en terrain connu : production ciselée, arrangements feutrés nimbés de cuivres et de cordes, ponctuations synthétiques, clair-obscur enveloppant. Les dix titres de La Société de Préservation du Roseau oscillent entre midtempo inventif (Le Mont de Piété et son étonnant final discoïde), bossa-nova lounge 70s (Aux Rochers Rouges) et longue ballade hypnotique (le magnifique Le Tamis). Partageur, The Reed Conservation Society ici et là invite Natacha Tertone et Blumi à poser leurs chants, mais également – sur le country folk Molly – le banjo de Fred Lambert (Rum Tum Tiddles). Avec Yann Arnaud aux manettes, le duo orfèvre des compositions ourlées, à l’instar de Pylônes et sa somptueuse introduction western (quelles trompettes !) ou de St Elme dans le Désert, comptine reposant sur un très décontracté clavier bluesy, mais jamais ne tombe dans l’esbroufe, et c’est ce qui fait la grande force de La Société de Préservation du Roseau – ni trop, ni trop peu, lisible et lettré, l’équilibre est parfait.