Certaines sérénades mènent effectivement à la damnation. Sans aller jusqu’à évoquer le sombrissime roman gothique The Monk, publié en 1796, à côté duquel Saw n’est qu’un divertissement bon marché, l’histoire (de l’art mais pas que) regorge d’amourettes qui finissent mal. « Dans ses bras lui vient son souvenir / Ici-bas elle ne peut rien lui dire / L’au-delà saura bientôt venir / D’ici là il faudra bien tenir » (la ritournelle surf sixties Souvenir, vraiment chouette). S’ouvrant sur le monumental Hedonista (gospel swamp vaudou gorgé de garage évoquant Jeffrey Lee Pierce tout autant que David Eugene Edwards, violemment régurgités par les boyaux de l’enfer), le premier album des Dead Chic se fait fort de nous séduire puis nous livrer aux flammes hypnotiques du chant fiévreux d’Andy Balcon, précédemment leader du groupe Heymoonshaker, formé en Nouvelle-Zélande à la fin des 2000s. Il faut dire que le crooner – entre Joe Cocker, early Nick Cave et Tom Waits – dispose d’un organe vocal capable d’embraser les onze compositions de Serenades & Damnation, quand bien même le quatuor formé en 2020 – outre Andy, l’on retrouve deux membres de Catfish (Damien Félix et Mathis Bouveret-Akengin) ainsi que le batteur Rémi Ferbus (Kimberose) – sait diversifier son propos, pimentant son rock garage de rythmes latins (¿ Cuánto Cuesta ?, interprétée en espagnol), d’arrangements à la Ennio Morricone (Paris, magistrale, The Last Shadow Puppets sont jaloux), d’atmosphères opaques (Manchester, cousine lointaine de Red Right Hand, on visualise très bien la pluie, la grisaille, l’attente, la vaine attente) et de langueur – le slow All Seasons Change, batterie mate, guitares twang, cordes pincées. Si les titres tempérés sont plaisants (l’orientalisante Mirage, expressive danse de vie et de mort entre la stambouliote Tugçe Senogu et Andy), c’est par le groove que Dead Chic emporte la mise, qu’il s’agisse de l’irrésistible Fortune et ses chœurs impérieux, des refrains très Black Keys de Romance ou de l’impeccable british 70s Pain Love Joy, qui nous embarque au point de nous donner envie de nous dépoitrailler et, ivres morts au fond d’un pub mal famé, clamer sa douleur, réelle ou imaginaire. Serenades & Damnation, mais également deux composantes assez rares sur la scène hexagonale pour être soulignées, Panache & Ambition.