Fans de J-pop hors format voici une bonne nouvelle : le label Specific Recordings devient un véritable ambassadeur vinyle pour la France d’albums du soleil levant avec comme principal (et unique) critère le coup de cœur musical et humain.
C’est donc dans un beau gatefold que ce second album coloré de Tokyo Karan Koron, "Go Nin No Entertainers", s’offre à nous. On n’insistera jamais assez sur le plaisir de posséder un bel objet, ce à quoi le label amoureux du vinyle a pris grand soin.
Il arrive des moments dans l’expérience de chroniqueur, ou simplement d’amateur de musique, où le mystère refait enfin surface. Si je parle de mystère c’est parce que je serais incapable de vous décrire cet album. Prenez "true, true, true", le morceau qui me rend complètement dingue et que je m’avale sans arrêter. A quoi ça vous amènerait que je vous dise un truc du genre "ouah la guitare math-indie-rock digne des folies de Peter Kernel, la batterie disco-rock au groove qui tenaille et cette voix de fausset bourrée de feelings". Y a deux solutions. Soit vous vous demandez ce que j’ai pris, soit votre curiosité sera freinée par peur de l’indigestion. Et ça parce que l’ingrédient qui fait tenir le tout, le rend bouillonnant et cohérent, cette cause indescriptible qui a tant de conséquences s’appelle l’alchimie. Qu’on tienne à en expliquer tous les ressorts et nous serions satisfaits de nous-mêmes, comme face à un tour de magie que l’on comprendra. Mais au passage nous aurions perdu l’émerveillement. C’est à l’ombre du mystère de l’alchimie que peut naître la surprise. Et c’est bien ce dont j’ai besoin en ce moment. Sentir que ça prend, que ça m’emballe et que je n’ai de mots ni pour l’expliquer ni pour le comprendre, mais juste des oreilles et des émotions pour l’apprécier. "Darekano", un hybride doo woop/pop ou barbershop quartet (les couleurs de TKK collent bien avec ce dernier), est une des meilleures entrées de disque possibles, enchaînée par le tube "Machsong", complètement disloqué avec sa ligne de voix dont la douce naïveté ravira les nostalgiques de leur enfance de japonmaniaque. Mais là où le groupe marque son territoire, c’est dans ce petit pas de côté, cette espèce d’entropie qui fait que quand on croît le définir il ne s’en échappe que mieux. Ecoutez le guitariste jouer aux perturbateurs (tout en mélodie) à l’instar d’Omar Rodriguez Lopez le maître brouilleur. Et tout le monde s’y met sans que la lisibilité du titre n’en soit altérée. Batteur survitaminé, basse musclée, un tout dont la cohérence nous renvoie à cette fameuse alchimie, et qui au final nous envoie surtout un coup de frais au visage tout comme au paysage pop. "Makiba" confirme les espoirs. Tokyo Karan Koron est un fer de lance qui sort la pop de son immobilisme. Bien sûr on sera admiratifs devant une telle convocation de styles (vraiment presque tout y passe sans y paraître) sans recyclage. Convoquer le passé pour offrir un avenir, regarder devant dans les pas des anciens, c’est bien japonais tiens (je crois qu’en ce moment je lis trop de Taniguchi). "Yubikis" représente le sommet de leur liberté. Pouvant être pop, math rock, progressif, sucré, acide, le groupe se permet tout et je leur en remercie tant le résultat conjugue l’évidence à l’aventure.
L’album est un concentré de tubes aussi immédiats que réfléchis et surtout impeccablement maîtrisés. "Yeah" comme "J-pop" pourraient être les paradigmes du groupe. Musiciens excellents, morceaux puissants, complexes tout en paraissant évidents. L’air de rien quoi. Et c’est peut être ça qui m’a le plus impressionné chez eux, cet air de rien qui fait toute la différence, là où d’autres en font tant sans rien proposer. Tokyo Karan Koron rappelle donc qu’on peut s’amuser à se prendre au sérieux. Une belle leçon de musique et de conception de l’art que la pochette illustre parfaitement. S’ils font un tel carton de l’autre côté de la planète il me semble que tout est réuni pour qu’ils creusent leur sillon chez nous, avec l’espoir de les voir venir en live !
ps : Surveillez les sorties de Specific Recordings car la suite arrive et elle promet d’allonger la liste de belles promesses de rafraîchissement.