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Ainsi donc, depuis la dernière rentrée, la Salle Pleyel est dorénavant interdite de musique classique pour se focaliser sur les sonorités pop, rock et jazz. Au-delà de toute controverse (pas le sujet de cette chronique), c’est néanmoins dans une jonction classique / pop que la jauge de 2500 places rouvrit ses portes, les 23, 24 et 25 septembre. Trois soirées (salle comble) avec Benjamin Biolay en figure de passeur – voire de tuteur. Accompagné d’une vingtaine de musiciens et d’un orchestre, BB a permis une transition assez logique pour la grande salle : puissance des violons, légère infiltration des guitares, hymnes pop à chaque étage. Nous étions présents à l’ultime représentation.

Bondée jusqu’à l’étouffement (mieux valait ne pas s’aventurer en pleine fosse), la Salle Pleyel dispose de rangées décalées permettant d’obtenir une entière visibilité sur le spectacle en cours. Et à voir, il y en avait…

Pendant que divers quinquagénaires observent l’arrivée de Manuel Valls (son épouse est violoniste, ce soir, sur scène), BB déboule sous les applaudissements midinettes. Beau, élégant, charmeur, le prodige entame sur "Palermo Hollywood" (le titre éponyme de son magnifique dernier album). Le concept est clair : profiter de cette invitation pour jouer, quasiment dans l’ordre, l’intégralité du disque, dans toutes ses subtilités harmoniques (pas évident, se dit-on). Car comme le précise Biolay lui-même : « Généralement, jouer l’intégralité de son album n’arrive que post mortem ».

Durant une bonne heure, c’est un déluge de rythmes argentins, d’envolées symphoniques (en effet, la salle est particulièrement adaptée aux sections de cordes ; là où il faut parfois tendre l’oreille pour comprendre guitares et basse), d’éclairage en tempo avec les irruptions mélodiques. Biolay y convie Chiara Mastroianni (pour "Ressources humaines") et Melvil Poupaud (présent durant l’intégralité du show). Les tubes (réels ou encore virtuels) provoquent l’incandescence : en live XXL, "Miss Miss", "Pas sommeil" ou "Tendresse année zéro" confirment la superbe échappée belle Palermo Hollywood, disque d’un nomade en pleine possession de sa fougue aventureuse.

« Le disque est terminé… On va en mettre un autre », annonce Biolay après l’inévitable clôture "Ballade française". Et le dandy classe d’enchaîner, avec logique, sur la chanson révélatrice, "Les Cerfs-Volants". S’ensuit une plongée dans le vaste répertoire de BB : "Une Chaise à Tokyo", "Négatif", "Billy Bob a raison" (avec Chiara)… Petit aparté avec "Jardin d’hiver", qui permet à Benjamin de balancer une vacherie sur Henri Salvador (« Les musiciens sont cruels les uns envers les autres, surtout les anciens à l’égard des plus jeunes ; je dis ça, je ne dis rien ») ; avant de rendre hommage au frère d’arme Hubert Mounier, via une reprise aussi poignante qu’olympique du chef-d’œuvre "Mobilis in Mobile".

Deux heures et trente minutes sans débander, entre rage et douceur, swing et tendresse, complaintes solitaires au piano et profondes éclates rock / hip hop. Seule frustration (en exceptant les rombières ayant passé la soirée à filmer l’intégralité du concert au téléphone – sic – plutôt que de la vivre de leurs propres yeux), l’absence de chansons extraites de Trash Yéyé (pourtant le meilleur Biolay). Présence de Chiara sur scène et dans les coulisses ? Reniement d’un album hargneux et revanchard ? Impossibilité d’adapter ces titres sous un angle symphonique (difficile à croire, là) ?

Qu’importe finalement la sélection parfois étrange de Biolay (il y avait une réelle mise en scène entre recueillements et chansons pour danser – d’où une frénésie sur la longueur que nous ne pensions réservée qu’à Bruce Springsteen). L’auteur de "Qu’est-ce que ça peut faire", s’il fallait encore le prouver, est aujourd’hui le Grand Commandeur de la chanson française. L’Artiste imprenable. Punk courtois façon Jacno / Elli Medeiros.

Grand merci à Matthieu Dufour de pop, Cultures & Cie