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Il y a différentes raisons d’aimer Time Skiffs. Les raisons qui depuis 20 ans engagent à suivre Animal Collective. On aime le quatuor de Baltimore pour la rencontre, le croisement des genres qui les rend si particuliers et si difficilement classables. De la pop-psychédélique assurément, résolument expérimentale, noisy, une poésie engagée et métaphorique, un travail sur la voix qui nous envoie aussi bien dans les bras de Brian Wilson que dans ceux de Ian Curtis.

Comme on est par ailleurs un peu sentimental, on ne reste pas insensible à l’histoire d’un groupe né d’une amitié d’enfance. Avey Tare (David Porter), Panda Bear (Noah Lennox), Deakin (Josh Dibb) et Geologist (Brian Weitz), se rencontrent sur les bancs de l’école, gamins ou adolescents, découvrent ensemble Pavement, The Cure, les films d’horreurs et leurs BO, le Krautrock et l’écriture sous influence. Ils cherchent :« Nous n’avions jamais entendu parler de la musique expérimentale à cette époque, nous ne savions pas que les gens faisaient de la musique avec des textures et des sons à l’état pur. Donc on a commencé à faire ça nous-mêmes au lycée, des fonds sonores de guitares qui bourdonnent et des pédales qui décalaient les sons, et nous qui criions dans les micros. » Depuis, ils défrichent, ils tentent, en solo, en duo, en producteur, des collaborations et Animal Collective. Des échappées nécessaires au renouvellement, à la créativité qui ne s’épanouirait pas dans la linéarité d’un récit unique. Celui pourtant si polymorphe des onze albums studio de leur carrière.

Le groupe présente les neuf chansons de Time Skiffs comme « des lettres d’amour, des signaux de détresse, des observations en plein air et des hymnes à la relaxation : neuf échanges entre quatre personnes qui ont grandi au fil de leurs relations, leur vie de parents et leurs soucis d’adultes. »

“How many days do we have ?” nous demande la lettre-chanson Strung With Everything. L’été est là mais le temps pleure. Tout n’est pas désespéré : si le monde s’effondre, l’amour nous prémunit de la peur. Le récit de Time Skiffs est donc celui d’un monde qui ne va pas bien et qu’il s’agit d’écouter. Être attentifs aux glissements du temps. Ce à quoi nous engage le premier morceau, écouter les mouettes saigner et le vent respirer, l’eau.

Car Keys, à la production large et profonde, n’a de cesse de questionner, comment on va, comment on peut aller, on peut savoir. “How are we gonna know ? ” dans une ambiance musicale japonisante après une intro métallique. Animal Collective déploie avec richesse harmonies et matières, les sons jouant avec la stéréo, se déplaçant dans l’espace.

Un personnage de Marvel, une figure étrange inspirée d’un prêtre moyenâgeux, explorateur et bretteur donne son nom au premier single Prester John. Une batterie aux résonnances industrielles, un orgue chaud et répétitif, des chœurs harmonieux, suaves emportés par des envolées de synthétiseurs analogiques vers une fin déstructurée qui ravira les adeptes du passé plus complexe d’accès d’Animal Collective. Cherokee est une ballade, une balade, les deux hallucinées. Une pop song sautillante, complètement ésotérique, entrainante et joyeuse. Notons le magnifique Passer-by, à la richesse des éléments de percussion et au son velouté où se mêlent élégamment une batterie jazz aérienne, un xylophone et une basse ample, profonde.

Trouvons le moyen d’aimer comme des enfants est la quête du dernier morceau du disque, Royal and Desire, atmosphérique, éthéré, à la batterie et la voix légères, le clavier envoûtant, un morceau qui ne semble pas arrêter vraiment sa mélodie et laisse comme courir le disque après sa fin. Time Skiffs, sans dénaturer la discographie d’Animal Collective, se montre peut-être comme un de leurs opus les plus accessibles, les plus immédiatement aimables et persistants.