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Avant toute chose, la pochette de ce disque, petits mécréants, dans dix ans, sera un must au même niveau que celle d’"Electric Ladyland", l’album noir d’Acdc ou l’album blanc des Beatles, un mélange savant des tons de ces deux derniers et un peu de la chair du premier, tenez-vous le pour dit. Outre cet aspect mythologique de l’enveloppe, est l’aspect quasi religieux et "monasterien" de ce disque, l’aspect pur et chaste de la bête sans éthique, l’aspect toutes tripes dehors. Pour vous positionner dans ma vie, comme vilain exilé, je n’ai rebondit sur Dominique que pour Eleor, tard, toujours tard, ici la musique française n’emballe pas vraiment les réseaux, et puis, l’homme ne m’interpellait pas, avant j’achetais les disques pour leurs pochettes et ne me trompais pas, il en allait de même avec les tronches, quand je n’aimais pas, je n’achetais pas parce que surement, ce n’était pas bon. La jeunesse est un état d’esprit sectaire fermé a double tour dans une certaine ouverture permise et souvent permissive. Vous suivez ? Avec l’âge, on apprend à aller un peu plus loin que la plastique et l’anatomie, on écoute. Donc je suis arrivé pile quand Monsieur Dominique A recevait la grosse médaille, et Eleor a tourné et tourné dans les airs de Madrid, et sur la route d’aller-retour Spain-frenchie, où il a pris une ampleur de disque légendaire pour ma petite famille qui hurlait "Au Canada" en plein Val d’Aran comme l’on jette des Alléluia en pleine messe gospel. Et puis il y a eu ce retour en arrière, cette chanson sur Manset qui a irrité jusqu’a la curiosité, qui me l’a fait poindre au loin comme la terre promise, j’ai découvert Dominique A après l’avoir connu, pas fan fou furieux, mais si aisément enrôlé dans ses méandres, si alcoolisé a ses mots, qu’il est devenu un son chronique de mes murs. Il peut alors paraitre linéal, aussi fin en 1990 qu’en 2018, un style coupé au couteau, clair, unique, personnel jusqu’a l’égoïsme, le phrasé, la mélopée, la compo, l’idée, la signature assurée, le A, pas de plan B ni C, le grand A, infaillible. Parler d’un geste de cet artiste est développer a chaque fois un univers, comme une mappemonde pliée en trente, que l’on déplie toujours soigneusement et surement maladroitement pour découvrir les routes qui sont des veines comme des sons, des points de villes et villages qui sont chacun des vécus, des petites anatomies de nos heures, et puis le relief, vallées de larmes pas toujours obscures et cimes de plaisirs pas toujours simples, écouter Dominique A, c’est voyager dans l’espace, dans l’inconnu, a coté de nous, a deux doigts de nos vies. Parler d’un nouveau disque, c’est se retourner l’épiderme pour tenter de savoir si il y est entré une fois, sans rien dire, cet homme, a été chez nous, ses mots se sont teintés de nos verbes, ses sons se sont colorés a nos rêves, ses images se sont peintes a nos réalités. Comme dirait Manset, "Entrez dans le rêve".

Pendant que le petit monde s’affaire a chercher le geste absolu, le style définitif, le renouveau du nouveau, pendant que l’on fait des expériences aux pieds de micros et qu’on tente le trucage de baguettes en nerfs de bœuf sur des batteries de caisses d’œuf, pendant qu’on cherche dans les laboratoires de l’histoires le futur des solfèges et qu’on détourne l’attention des couacs a l’aide de câbles électroniques, pendant que chacun désire comme un orgasme être le nouveau messie du son, Dominique fait de la musique. Bien sur, il a cet accent un peu maniéré de conteur, l’emphase, le petit truc populaire qui fait de lui l’égal de nous, bien sur, mais jusqu’où est-il capable de nous emporter en croisière avec ce petit accent presque normal ? Bien sur il joue sur peu de notes, sa petite boite a rythme, ces guitares gentilles, bien sur, mais quelle profondeur atteint-il en nous avec ses petits cliquetis là ? Dominique fait tout ce que les musiciens, et surtout les plus grands, ont su faire, le simplement magistral, le dénudé intégral qui habille nos magies. Valser, tanguer, vibrer avec lui, c’est comme lire les petits textes de Philippe Delherm, retrouver dans le détail tout bête, la saveur, couleur et forme du bienêtre, d’un regard, d’un tissus, d’un baiser et d’une peau, d’un bois, d’une absence. Moi qui vit de l’autre côté des Pyrénées, où Gaston Phébus chassait a l’aigle, j’ai un besoin eternel et vital, de retrouver ces goûts perdus dans le trajet de non retour, j’ai besoin de ce terroir sans terre, j’ai besoin de cette France là, pure poésie, pure vérité, sensible jusqu’aux ongles, j’ai besoin d’Aznavour, de Brel, de Bocarra, de Piaf, besoin de cette chanson française ( ce terme n’englobe pas tout, comme on veut le faire croire)et besoin de ceux qui en ont hérité, et savent l’honorer. Il y a Manset, il y a Sheller, Philippe Pascal, Cantat est là, et dans un recoin plus intime de moi, les Orso Jesenka, Filip Chretien, Pauline Drand, Robi, Watine, Pagan Poetry et une petite brigade (pardonnez si je ne cite) qui sont des câbles tendus a travers les distances, qui sont des terres natales, qui sont des racines, des bulbes qui savent fleurir a chaque fois que la nostalgie me tord le cou (un mot exprime ce sentiment en Espagne, "Querencía", l’Ibérie a de belles choses aussi). Je m’égare, ça arrive souvent quand je m’enflamme sur les lointains, je m’égare, c’est que Dominique A m’emporte a chaque fois. J’ai travaillé dans des discos de nuit pendant 13 ans a Madrid, je ne dis pas ça pour vous parler techno, je dis cela parce que ce monsieur aurait pu facilement être le cerbère des portes du local, ces traits coupés au burin de nordiste, ce profil de falaise d’Etretat, ces épaules de mineur, ce crâne dolmen, oui, il aurait fait comme vigilant, le ton un peu ténébreux et les sourcils froncés, parfait. L’habit ne fait pas le moine, j’ai côtoyé des bikers qui ne rentraient pas chez eux sans avoir acheté une peluche à leurs petites princesses. La sensibilité n’a pas de carcasse, pas de taille, pas de volume, elle est cette partie d’éther qui nous entoure, nous use de récipient et ce verse a son bon gré, la sensibilité joue de nous entre un vers et une prose, entre l’idée lumineuse d’un récit et la pression des doigts sur l’ébène. La sensibilité fait aussi que le mot homme sonne d’une manière ou d’une autre, soit magique, soit tragique, et là, là est précisément le talent, le don de Dominique A. Toute phrase, sans être pesée, a son poids, sa pression sur nos émotions, chaque conte a son charisme, sa force propulsée par la voix peu chanteuse mais très spirituelle, Dominique A nous narre nos vies, et elles nous paraissent, soudain, aventures, romans, histoires, magiquement, nous mutons dans ses chansons de pions a rois, le grain de sable a son importance, comme le millième de seconde, comme l’atome. La musique peut alors être plus folk, ou plus organique, moins électrique ou plus rock, qu’importe, la patine A est posée. "Toute latitude" pour enfin citer le nouveau recueil d’images de Dominique A et en revenir au sujet du jour, est viscéral, sèchement visceral et écolo dans le sens logique, humain, et là vivent les organes qui émeuvent, qui vibrent, crachent, mordent et caressent a rebrousse-poil. Moins naturel, peut-être (chassez-le il revient au galop), il est en effet plus veines qu’os (au contraire d’Eleor). J’en reviens a ce post d’un grand ami et fin connaisseur de musique qui collait sur sa découverte de ce disque la pochette de 10000 Windows de Massive attack, en plan "paf, en plein dans le nez la pochette", mais tel Bashung, fallait lire entre les lignes, il y a du Massive attack dans ce disque, cette sensation de plages internes où l’on repose l’âme, les yeux clos, aptes même a ressentir le flux dans les artères, il y a du ventricule, de la viande, ce rythme cardiaque net et précis, des nerfs et des rides, il y a de la vie dans son chemin a la mort, Dominique A fait fort. J’avoue que je suis tant marqué au fer rouge par "Eleor" que je croisais les doigts pour que le suivant lui ressemble comme deux gouttes d’eau, on est parfois égoïste, ça tue la création, je sais, mais la répétition d’un truc qui marche, ce confort assumé, ce besoin de stagner quand l’eau est a la température exacte, est profondément bon, mais pas très futuriste. Alors que dire quand le suivant est présentement du même acabit, mais a cette petite révolte de n’être le même, ce pas en avant si subtil au début qu’on ne le découvre qu’une fois emporté dans l’élan. C’est le même qu’hier, mais c’est déjà demain. Revoilà cette voix qui suit la lecture avec sa touche personnelle si naturelle, revoilà ces envolées logiques mais qui nous déroutent, on savait que le violon là, on savait que la guitare ici, mais on s’y attendait pas, alors on reste a l’écoute du narrateur, ces magnifiques textes d’une journée, d’un couple, d’une décadence ou d’une survie, qui nous portent comme un océan emporte. Non, ce "Toute latitude "n’est pas le cadet des frères, c’est le benjamin, sans doute, plus frais, plus récent, mais avec le gêne de l’héritage total, l’aboutissement d’une famille complexe, aussi parfaite qu’une estampe du grand Gatsby, c’est là où tout est mis, là où s’explique rêve et cauchemar, là où se comprend l’illimité, l’infini de Dominique A, là où pétent les frontières de l’art. Ce n’est pas le premier à les exploser, mais ainsi, jamais, ce n’est pas le premier, c’est le benjamin, le cadet de toutes ses entreprises, de toutes ses œuvres, le benjamin total. Bien sur, il est plus sombre, ce disque, le froid est plus cinglant, l’époque veut cela, et même le grand Dominique ne peut échapper aux aléas du temps, la météo n’est pas bonne, la truculence tend a disparaitre, on fait le juste parce que plus, on n’en a pas les moyens, on a beau piocher á nouveau dans les styles eighties, on a beau ressortir les vieux samplers et les wouah wouah, on ne donne pas plus qu’avant, alors, l’intelligence, ce n’est pas de retoucher, mais de retrouver, Dominique l’a compris depuis le premier jet, la chanson française, la belle, l’intense, celle des nerfs de Brel en concert a l’Olympia, n’a pas besoin de bouleversement, sinon de personnalité, d’un, simplement d’un. Certes, "toute latitude" use a l’usure le rythme saccadé d’une beat box revenu d’un regain New wave cher a l’ex Dominique A, de minimes plages, d’effets spéciaux timides, mais il reste sentimental, visceral, au diapason du corps et de ses jours a jours, humain après tout, et humain, est aujourd’hui un art a part entière, n’est pas humain qui veux, mais qui le ressens. Comme le disait l’ami Brel, N’ai-je jamais rien fait d’autre qu’arriver"

Parce qu’après tout il s’agit de marcher, d’avancer, un pas de plus, lourd dans la boue, léger dans l’eau, d’un sillon a l’autre, d’une couverture de disque a l’autre, d’une naissance a l’autre, d’une chanson a l’autre, et pour Dominique comme pour tous, il n’y a que cela de vrai, aller de l’avant, peu importe le point cardinal, peu importe la déception ou l’euphorie, avancer, ramer comme disait Souchon, tenter l’improbable espoir du graal, l’utopie de la perfection, certains s’en sont rapprochés, d’autres approchent, et Dominique A en est proche, Dominique A va, laissant une empreinte sur le parcours qui nous tranche le cœur, qui bouge une a une les strates souterraines de nos âmes, qui nous soulève les commissures ou nous baisse la tête, il va comme ces centaures chromatiques du manteau qui abrite le froid de ce disque, mythique, puissant, presque irréel tant tout cela semble ailleurs, dans une autre vie, Dominique A est proche, ainsi se gagne l’éternité, en avançant ainsi, vers toutes latitudes.

Comme dirait Dominique A ; "Ce qui sera de ce qui est"

Au diable la pochette, vient la "fragilité"