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Sur « Les Éveillés », cinquième titre du volume II (Quelques Lumières est en effet un double-album), l’acoustique se rend évidente à nos oreilles soulagées (le volet symphonique, le « Un », on peut le passer, personne n’aime ça, ou alors on fait tous semblant ?) les cordes sont grattées donc sur le volet acoustique, juste comme il le faut pour nous réveiller, elle nous tient en haleine, la guitare.

Ce qu’on reprochait au « Un » s’en trouve immédiatement effacé. Une poignée d’inédits et le chant intimiste de Dominique A. nous rendent la chaleur, la familiarité auxquelles cet artiste nous a habitués en quelques décennies de proximité (nous sommes nombreux à avoir grandi, voire vieilli avec lui, c’est bien ça hein ?). Accompagnées de la contrebasse et du piano, sa voix et sa guitare murmurent à l’oreille des « gens qui ne sont pas là ». Il aura fallu quatre titres et « Les Éveillés » nous secouent. « Si tu t’endors, je te réveillerai ».

Oui, le piano y est davantage jazz - cabaret en fait - mais sans clichés, authentique - (le jazz des speakeasy, un jazz de « Twenty-Two-Bar » en effet : point d’esprit de contradiction, on est authentique car c’est Dominique A. et il restera - il le prouve sur ce double album - exigeant.

« Valparaiso » : il le chante juste et fort… Finalement cet album ne sonnerait-il pas comme un live ? Les conditions d’enregistrement seraient intéressantes à connaître, et le son irréprochable. Appréciez quand vous l’écouterez à votre tour. Bravo… Nous baignons dans la surprise la plus absolue.

« Rendez-nous la lumière » sonne si juste ici, si bien à sa place ici en 2024, en ces jours sombres, en ces jours de gros titres de journaux désolants et néanmoins solennels. « Le monde était si beau et nous l’avons gâché »… Tellement à sa place, ici et maintenant, cette chanson de Dominique. Éternel retour désolant des conneries de nos congénères, de nos conneries. De tout temps l’homme fait n’imp.

L’ émotion est à fleur d’ouïe, on pourrait frissonner et c’est peut-être bien ce titre, « Rendez-nous la lumière » qui nous éclaire sur l’intérêt d’avoir rêvé, produit et sorti Quelques Lumières. L’ album est comme poussé hors de terre, hors d’un champ de ruines pour être exacte. Un double album sur lequel Dominique A. revisite, certes, son répertoire (soit quinze albums studio) mais collabore aussi avec l’ Orchestre de Chambre de Genève. Plus de quarante musiciens.

Une fois digérée cette partie symphonique (évoquée plus haut), on arriverait, sur le volet 2, au bout du bout, au bout de l’humain, à la fin de la terre - elle était plate, en effet, c’était vrai. Tout aurait fini par péter, quelqu’un aurait déterré la partie acoustique de Quelques Lumières. Intrigué, notre survivant(e) l’écouterait (on ne sait trop par le truchement de quel engin, on pourrait voir ça plus tard si ça ne vous fait rien ?) et en y réfléchissant bien, comme dans Fiskadoro - le meilleur roman de Denis Johnson, le (la) survivant(e) entendrait comme sur « Cuba-Radio » (Fiskadoro) la révélation de ce que nous avons (déjà) perdu : le monde d’avant existait bel et bien, il n’en subsisterait que cet album, ces arrangements incroyables (« Les Animaux »), ces textes sublimes à se mettre sous la dent pour essayer de comprendre ce qui se dressait là en lieu et place des débris inutiles et inertes que notre dernier être humain foule.

Une petite main sale fait tourner délicatement les pages d’un livre de jeunesse - les illustrations sont de Claude Ponti bien entendu - la bande-son c’est Quelques Lumières acoustique, les images défilent, la main fait tourner les pages du story-board, on y est, c’est la fin du monde. Il ne reste qu’un enfant, qu’un livre, et ce double-album. Enfin.