Disparu le temps où Stuart Staples, en crooner amer à la classe vénéneuse, se sifflait sur scène sa bouteille de vin rouge, tandis que Dickon Hinchliffe, Terry Edwards – trompettiste magique échappé de Gallon Drunk – et consorts, la fine équipe, avec fougue insufflaient aux compositions fiévreuses des premiers albums de Tindersticks une noirceur mélancolique tout à fait rock’n roll. Qui aura, comme moi, assisté aux premiers concerts du groupe formé à Nottingham en 1992 saura de quoi je parle. Même si Curtains tutoyait les sommets, la bande son de Nénette et Boni, très oubliable long métrage de la non moins anecdotique Claire Denis, fera en 1996 office de rupture dans la discographie des Tindersticks, désormais assis – certes majestueusement – sur le volcan qu’ils avaient allumé. S’ensuit une litanie de productions très dignes mais toujours la question se posait : où est l’ardeur ? De temps à autre, installé en France, jouant du béret et du ventre arrondi, doté d’un timbre de voix unique, à la fois grave et nasillard, susceptible de rendre attrayant l’annuaire ou le dernier roman de François (Che) Bégaudeau, Stuart nous donnait des nouvelles, auxquelles on prêtait peut attention, tant l’homme et son art semblaient voués à un confort téléramesque bien loin des saillies originelles. Pas grave, d’autres avant lui, tels Jarvis Cocker, Peter Doherty et Alex Kapranos se sont artistiquement engourdis, après s’être installés au pays du fromage, de la nonchalance et des droits de l’homme (ah ah) (ah argh). Et donc, je n’attendais rien de Soft Tissue, dont le jeu de mot me fait grimacer, même si, même si, la question se pose : existe-t-il un tissu désagréable à porter ? En tous cas, le quatorzième album des Tindersticks ne gratte pas les oreilles, tant il est suave et confortable, entre mid tempo soul et ballades feutrées. Première écoute, l’ennui. Bon, pas surprenant, d’autant plus que j’ai revu le groupe dans les 2010s et que ça ressemblait à une sorte de croisière s’amuse sans amusement. Dans le doute, je laisse infuser quelques jours. Deuxième écoute, je réalise que les mélodies sont entrées dans ma tête et je découvre de nouveaux arrangements. Troisième écoute, je jubile, super content d’avoir insisté : certes, le parti pris soul me fait soupirer, mais c’est tellement bien fait, et les ornementations, à la fois simples et luxuriantes, se dévoilent lentement, patiemment, amplement, je me régale, c’est comme assister à un défilé, on se félicite d’assister à une débauche de swing, de savoir-faire et de beauté. Haute couture.