Tour à tour attendrissante, émouvante, puissante, qu’elle narre sa rencontre avec un objet volant non identifié ou une séance de cinéma au Louxor, l’espiègle Léa Jacta Est emplit tant et si bien de sa singulière personnalité un premier album particulièrement inspiré, qu’allègrement elle déborde, nous régalant d’envolées poétiques, de rêveries mélancoliques et de constats qui piquent. Inspirée par la Mort et le Vaucluse, la multi-instrumentiste parisienne a – en collaboration avec son amie Virginia B. Fernson (Skinsitive) – passé les deux années écoulées à peaufiner les compositions d’Horizons du Fantastique, dont l’intitulé est tiré d’une revue des seventies du même nom. On l’avait remarquée dans le sillage d’une autre Léa, notre chère Léa de Bleu Reine, avec qui elle partage concerts, goût pour la mise en scène et appétence pour un folk mutant difficile à qualifier, et qui avait, il y a quelques semaines, attiré mon attention sur la parution de l’opus inaugural de sa camarade à l’imagination fertile : j’ai un peu traîné des pieds – Horizons du Fantastique a été mis en ligne un premier novembre (le jour des morts !!!), il comporte treize morceaux (treize, malheur !!!), je ne voulais pas me porter la poisse, je suppose qu’elle ne m’en voudra de la chroniquer après la cavalerie. D’emblée, ce que je tiens à dire, c’est que Léa Jacta Est est une chanteuse stupéfiante, une des meilleures que j’ai pu entendre ces dernières années : avec sa voix (grain légèrement éraillé), elle peut tout faire et sait tout faire et ne s’en prive pas. Dans une même chanson, elle saura nous amadouer, nous attendrir, nous amuser, nous impressionner, nous faire flipper. S’ouvrant sur un rêve d’introduction (Utopia – The Wizard of Oz meets David Lynch), à base de bruits de fond (Léa aime beaucoup le field recording), de grosses réverbérations et d’harmonies vocales éthérées, Horizons du Fantastique – sauf lorsqu’il paye son tribut à la modernité, comme sur l’électro RnB Tyrannosaure Lucifer et le folk trap Les Sept Rivières – sait prendre le temps de poser des ambiances perpétuellement surprenantes, qui en deviennent des histoires à part entière : la chanson éponyme (folk gothique, expressif, effets narratifs, quel sens du détail, un régal), mais également l’étiré Les Pyrénées (grondements d’orage, pincée de dub, final épique) et le renversant Le Programme du Louxor, un trois-en-un kaléidoscopique qui nous voit suspendus aux lèvres et aux mots de Léa. Et puis il y a la très drôle comptine a cappella La Falaise Interdite, la mélopée L’Amour Sûr, des cigales (Les Jours Heureux) et même une anti-reprise, celle du L’Amour à la Plage de Niagara, version rageuse. Musicienne accomplie, Léa Jacta Est nous livre un bien aventureux album, expérimental et très abouti (écoutez-le au casque, vous verrez), magnifié par une interprétation quasi magique qui crée un lien entre l’artiste et l’auditeur, certes imaginaire mais tout à fait palpable. Aujourd’hui, j’ai fait connaissance avec un être brillant, ça me rend content.