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I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore. Des adeptes de la communication non-violente, j’en ai malheureusement croisé un paquet dans ma vie. Du genre à te dire, après s’être montrés agressifs et t’avoir mis en colère, qu’ils comprennent ton ressenti mais que c’est ton ressenti et que tu es responsable de ton ressenti et qu’ils n’y sont pour rien dans ton ressenti et que tu devrais apprendre à gérer ta colère. En ce sens, de par son cynisme revigorant, l’intitulé du nouvel et huitième album des écossais d’Arab Strap fait du bien, d’autant plus qu’à la Maroquinerie l’on avait en 2006 assisté à un concert épique, donné dans le cadre de leur tournée d’adieux. Les adieux furent plus longs que ma gueule de bois : en 2021, Aidan Moffat et Malcolm Middleton remirent le couvert, avec un As Days Get Dark admiré en ces pages.

Il y a trois semaines, farfouillant dans les biographies musicales de la bibliothèque Oscar Wilde (je m’attaque à Barbara ou Dalida ?), un marmonnement dépressif sur fond de basses linéaires et de boîtes à rythmes accapara mon attention, au point que j’en suis venu à questionner la bibliothécaire derrière son comptoir : hey, ne serait-ce pas le dernier Arab Strap ?

Excellent oreille, monsieur. S’ensuivit une conversation fort sympathique sur les duos cultes, Suicide et Sleaford Mods en tête (mais pas Tears For Fears, snif), moi m’attardant sur la production si particulière des disques d’Arab Strap, dont la signature sonore était dès l’inaugural The Week Never Starts Round Here de 1996 reconnaissable entre mille, inspirante au possible pour les aspirants au spleen caustique dont je faisais partie, et je n’ai pas changé.

Visiblement, Aidan et Malcolm non plus : il faut dire que le réel est un inépuisable fournisseur en dégueulasseries, qu’elles soient intimes ou universelles. Et donc, en douze titres produits par Paul Savage (The Delgados, The Twilight Sad, King Creosote), notre binôme écossais préféré reprend du service et nous offre une énième rasade de noirceur, d’amertume et de refrains déglingués, à l’instar de l’inaugural Allatonceness, rageuse batterie au vent et lyrisme concassé, James Williamson retourne à l’école. L’électronique vintage 80s s’invite sur un Bliss habité par le phrasé d’Aidan Moffat, nous voilà dansant sur nos humeurs biliaires : fin, classieux, irrésistible. Le piano, toute fréquences basses devant, ouvre le fiévreux Sociometer Blues puis soutient le chaos rythmique, mais toujours la ligne claire, parce que chez Arab Strap la narration est essentielle.

On ne fait pas de la musique pour jouer de la musique mais pour raconter quelque chose, peu importe ce quelque chose, le chaos, l’entropie, le pire du pire, le rire de rire du pire, les arpèges synthétiques ponctuent et suivent la ligne droite, droit vers le fossé, la falaise, le mal à l’aise que dessine le duo, peu enclin à la logorrhée. Oscillant entre trois et quatre minutes, les chansons d’Arab Strap ne s’abstraient pas de mélodies, comme sur ce Hide Your Fires ascendant pop, claps à l’appui et muni de refrains qui rappellent The Callstore, ou le mini tube Summer Season qui, interprété par n’importe qui d’un peu charismatique (ou putassier), serait un banger. Le groove, le sensuel, le cool, version Falkirk un matin d’hiver.

Ceci dit, la version d’Arab Strap que l’on préfère, c’est la moins légère : lente, lysergique, quasi post-rock (après tout ils partagèrent le même label que Mogwai, Chemikal Underground), même mâtinée d’électro (Molehills). Et donc la question qui tue, surtout à l’écoute de Strawberry Moon : les gars, n’y aurait-il pas un peu trop de boîtes à rythmes, aussi vintage soient-elles ? Les sonorités Phil Collins de You’re Not There font un peu flipper et que dire des refrains ? – fermons les yeux, la même chanson chantée par une autre (Taylor S. ?) serait de la soupe, sachant que Haven’t You Heard sonne comme un mauvais The National.

Le point fort historique d’Arab Strap, c’est de faire beaucoup avec peu de moyens, et là, il y a beaucoup de trop, de tentations, de pas de côtés un peu étranges, comme si voyant leurs bâtards s’attarder avec réussite dans le mainstream – je pense évidemment à Sleaford Mods – Aidan et Malcolm se disaient : pourquoi pas nous ? A l’approche de la cinquantaine, ça peut se comprendre, mais le duo semblait jusqu’ici à l’abri de toute tentation putassière. Alors certes, on se raccroche aux branches, jolie ballade folk avec Safe & Well, mais peu prenante. Là on se dit : patin, c’est skiant, ça tombe sur moi, c’est pour ma pomme, je vais prendre cher, il s’agit sans aucun doute du plus mauvais album d’Arab Strap, groupe par ailleurs le moins discutable du monde, help me, non, non mais le refrain électro-grunge naze de Dreg Queen me donne raison : I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore n’évoquera pas les psychopathes épris de communication non-violente mais plutôt le chroniqueur déçu par le disque d’un groupe mort en 2006 et qui ne subsiste que par l’aura dont il se pare, le temps filant, le temps brûlant, brûlant en cri le temps présent.