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  • mars 2003 /
    Angil
    Interview

    réalisée par gdo

Interview réalisée via mail en Mars 2003

C’est qui angil ?

— C’est moi ! Je n’ai jamais eu très envie de signer Mickaël Mottet. J’ai inventé ce nom pour le coller aux premiers morceaux que j’écrivais tout seul.

Depuis combien de temps écris-tu ?

— J’ai fait 7 ans de piano, je me suis arrêté bêtement… J’avais dans les 14 ans quand j’ai recommencé à jouer de la musique, et à en composer. Je m’étais fait prêter une guitare sèche ; j’enregistrais chez moi avec les pieds dans l’eau, ou une radio un peu pourrie sur grandes ondes, en fond sonore - j’avais déjà le goût de l’expérimental ! Il y a chez toi une sensibilité à fleur de peau. Pourquoi est-il impossible pour toi de faire ressentir cela en français sans passer par l’anglais ? Pour écrire des paroles, je me déguise ! Je joue un rôle ; paradoxalement, c’est beaucoup plus facile de faire passer des choses très intimes comme ça. Je n’écris pas du tout comme je vis : tout le reste, je le fais en français, mais ce petit moment-là, où je colle des mots sur une mélodie-yaourt, je le réserve à mon imaginaire, celui qui a été marqué très jeune par l’anglais (j’en fais depuis une quinzaine d’années, d’ailleurs c’est devenu mon travail, je suis traducteur…).

Depuis ton premier album reçu ici on sent une certaine épaisseur apparaître. C’était un manque de confiance au départ ou c’est simplement un passage obligé ?

— Un peu des deux, je suppose. D’un autre côté, j’ai fait des dizaines de cassettes avant Beeguending, et même un CD plus ou moins commercialisé, Ha Ha !, sur le label Premier Disque. Alors de mon point de vue l’évolution s’est faite, et continue à se faire, en douceur. Chaque nouvel enregistrement est un peu une réponse au précédent : aux aspects un peu ’présomptueux’ et urgents de Ha Ha !, répondent peut-être la simplicité, le dénuement de Beeguending.

Tu t’accompagnes d’un orchestre virtuel, c’est pour éviter la frustration ?

— En quelque sorte, oui ! Il y a eu une période où j’en avais marre du nom " angil ", j’avais l’impression que tous les groupes avaient des noms-à-cinq-lettres-qui-ne-veulent-rien-dire ! J’avais envie d’un nom plus long, qui sonne un peu faussement grandiloquent, cynique, surtout quand on sait que je joue presque tous les instruments seul. J’ai pensé au Hidden Track Circus Band grâce à l’émission que je présente avec un ami sur Radio Dio, " le morceau caché ". Donc c’est une frustration purement formelle - le fait de jouer avec d’autres gens ne me manque pas, parce que je le fais ! Je joue dans un groupe, qui s’appelle del. (à ce propos, on fait un concert gratuit le mercredi 12 mars, à Vaulx-en-Velin (à l’ENTPE de Lyon, rue Audin)… Si ça te dit de l’annoncer… c’est avec " Paloma à l’orange " et " dirge ! ")

Tu peux nous expliquer ce qu’est le parcours du combattant de quelqu’un comme toi qui écrit beaucoup et qui cherche enfin à transformer l’essai ?

— Je ne voudrais pas mentir : ma philosophie est plutôt de trouver dans la musique un maximum de plaisir. L’idée de se donner du mal, de s’arracher, très peu pour moi - même si je sais que d’aucuns considèrent que l’art ne se trouve pas sans ce genre d’efforts. Alors, oui, j’écris beaucoup ; j’essaie d’envoyer mes chansons à une trentaine de gens que ça peut intéresser à la base, la presse, qui écrit parfois des choses très touchantes (comme vous !) et quelques labels, mais si tout ça a un prix, ce n’est sûrement pas celui du plaisir. Autrement dit, je n’ai pas l’impression de traverser un parcours du combattant, et puis j’ai la chance de faire autre chose à côté, et d’avoir des parents coopératifs ! Sans être un petit bourgeois, ni un dilettante (que ce soit clair…), j’attends mon heure. On verra bien.

A ce sujet le doute finit-il par te gagner, et si oui celui ci peut-il te servir de moteur ?

— Oui, par périodes. Mais ça ne m’aide pas du tout, c’est plutôt un frein ! J’apprends à faire avec, à me dire que tout fonctionne par cycles, de toute façon. Il y a des semaines fastes, où d’un seul coup, j’ai deux ou trois bonnes chroniques, trois ou quatre labels qui m’écrivent, des propositions de concerts. Et puis ça se calme. Je n’ai pas vraiment l’esprit libéral, à vouloir à tout prix forcer le destin, surfer sur une bonne vague. Finalement, cet esprit a du bon : je prends ce qu’on me donne, sans être déçu le reste du temps. En plus, je crois que les gens vous aident plus volontiers s’ils n’ont pas l’impression d’être forcés. Bon, le seul point délicat, c’est justement de savoir gérer les périodes de doute. En ce moment, cela dit, je suis assez serein : je suis en contact avec le label Unique Records, de Toulouse, des types formidables ! et très prévoyants, aussi : on parle d’une sortie début 2004.

Ce qui me fascine chez toi c’est que tu réalises tout cela loin de références, mais tu dois en avoir ?


— Angil : Ça fait plaisir de lire ça. Certains chroniqueurs ont tendance à manquer de recul, parfois d’humilité, et balancent un peu à l’aveuglette toujours les mêmes " inspirations ". C’est un peu bidon, de citer constamment Smog et Palace dès qu’un mec prend une guitare acoustique. Je n’ai rien contre eux, j’écoute même encore régulièrement les dernières productions de Bill Calaghan ; et Chan Marshall, par exemple, est pour moi une grande chanteuse, qui plane au-dessus de tout le reste dans le style. Mais en règle générale, le nouveau folk " je souffre trop grave et j’ai du souffle dans la voix " me fait un peu chier. J’écoute en réalité plein de choses, depuis à peu près deux ans (quand j’ai commencé le morceau caché), je suis devenu très ’glouton’, j’emmagasine ! Je pourrais citer, en vrac, ce qui m’a le plus marqué ces derniers temps : le groupe anglais Broadcast (il paraît que ça se sent dans Dolaytrim…), Toumani Diabate, le génial joueur de kora malien (pour en revenir à Cat Power, je trouve qu’il règne dans certains de ses morceaux la même espèce de sérénité, de plénitude que chez Diabate. A mon avis, c’est sûrement une question de rapport avec la mort, mais ça, c’est un autre chapitre !), quelques jazzmen un peu fous furieux, comme Sun Ra ou Pharoah Sanders, et, plus récemment, de l’électro expérimentale (Oval, Mouse on Mars, fennesz) ; je trouve ça fascinant, j’aimerais beaucoup produire mes chansons avec les mêmes techniques, savoir sortir d’un ordinateur ce qu’ils font. Et puis, je suis un grand fan de Yo la Tengo depuis I can hear the heart beating as one, alors j’attends le prochain album avec impatience. Tiens, justement, ils viennent de faire un EP avec une reprise excellente de Sun Ra, Nuclear War… Je trouve qu’ils ont un parcours parfait, et les trois concerts que j’ai eu la chance de voir m’ont à chaque fois foutu par terre.

Avec ce deux titres tu développes ce que tu as amorcé sur summerypy. C’est vers cela que tu tends ou c’est encore une fois un pallier ?

— C’est drôle, je trouve que ces chansons sont plutôt un anti-Summerypy ! Il y a quelque chose dans l’évolution, je suis d’accord avec toi. Mais j’ai écrit ces morceaux en réaction au EP estival, en essayant de jouer avec les clichés : après un disque chaud, maîtrisé, voire assez lisse en apparence, ces deux chansons très abruptes, colériques, relâchées, plutôt distantes. Hivernales, quoi ! Pour ce qui est du traitement, mille fois oui, c’est vers cela que je tends. J’ai même l’impression d’avoir trouvé mon truc sur Dolaytrim, c’est une chanson assez importante pour la suite, je crois. J’en ai eu marre des chansons composées sur guitare sèche (heureusement, des types comme Kurt Wagner me réconcilieront toujours avec ça !). Beginning of the Fall est une chanson ’électrique’, et l’histoire de Dolaytrim est assez rigolote. Tout était basé sur une guitare rythmique : Rhodes, batterie, etc. Mais en écoutant le rendu, on sentait quelque chose en trop. Et puis, Ives Grimonprez (chanteur de " Courage ! "), qui a enregistré ces titres, a eu une idée géniale : virer la guitare de base, la colonne vertébrale de la chanson ; d’un seul coup, tout était plus aérien, plus clair, cohérent. C’est vers ça que mes chansons vont : vider par le fond, trancher dans le vif. J’ai le nom de mon prochain disque : No more guitars ! En même temps, je dis tout ça, mais je pourrai penser le contraire dans 6 mois. Comme je le disais, après tout, toute nouvelle série de chansons est un peu une réaction à la précédente.

Tu procèdes comment pour l’écriture, c’est quelque chose de très posé ou comme cela donne l’impression sur dolaytrim tu improvises pas mal, tu te laisses porter là où l’impro veut ?

— C’est génial que tu aies senti ça. Au départ, Dolaytrim est effectivement une impro. Je compose très rarement comme ça. J’ai eu la chance d’accompagner un film muet (pour les fans, La glace à trois faces d’Epstein, 1927…) grâce à un ami, Emmanuel Gibouleau, qui s’occupait d’un (du ?) ciné club nantais, Bul Ciné. C’était un rêve de faire ça. La première fois que j’ai regardé le film, j’ai gratouillé quatre accords, ensuite pendant plusieurs mois, j’ai travaillé ces accords-là sans revoir le film, pour les improviser le soir du ciné-concert. Les paroles ont été écrites à partir de là.

Si on devait te définir, te mettre une étiquette, tu choisirais laquelle ?

— Sur scène… chansons en anglais, calmes et bizarres (enfin bizarres, grâce aux bandes de voix à l’envers et autres unheimlischeries de Flavien Girard, collègue radiophonique et désormais scénique - calmes, entre autres grâce à Laura Grando, flûtiste, que l’on entend aussi sur les dernières chansons). Sur disque, c’est plus compliqué ! " Un mec qui fait du folk tout en le détestant ! " On peut dire, pour faire court : voix et arrangements anglo-saxons, par un petit blanc-bec français.

J’ai été surpris de ne pas te retrouver sur la compilation CQFD des inrocks. C’est un choix de ta part, tu n’étais pas au courant, ou c’est un choix de la rédaction du canard ?

— Je ne vais pas déguiser ça en choix de ma part après coup ! J’assume ma lecture des Inrocks, lecture critique et parfois amusée, mais informative… Je leur ai donc envoyé I know myself (sur un CD audio mal enregistré, avec saturation à la clé…) Je me fais une raison grâce à ces grésillements (j’ai au moins le bénéfice du doute !), mais surtout, je me rends compte qu’avoir son nom sur cette compil a dû être assez frustrant pour les artistes : ça part d’une bonne idée, mais à l’arrivée, ça pue la condescendance. " Voici la galerie de musiciens parmi nos fans d’auditeurs… La semaine prochaine, on édite tous nos dessins préférés… " Ils feraient mieux d’en coller un ou deux par compil mensuelle, non ? Enfin, bon, je ne veux surtout pas avoir l’air aigri, je suis sincèrement content de ne pas y figurer, après avoir vu le rendu physique. J’avoue que je ne l’ai même pas écoutée, sans doute par jalousie, quand même…

Quand tu vois ce qui se trame pour syd matters cela t’encourage à continuer et prouve que l’autoproduction est encore une passerelle possible dans l’univers marchand des maisons de disques ?

— C’est à double tranchant. Paradoxalement, malgré la prédominance montante d’Universal et autres, la musique se démocratise de plus en plus. C’est devenu très simple de faire un disque chez soi, mais très difficile de le distribuer. Alors certains ont le talent et la chance suffisants pour être repérés par des distributeurs comme Chronowax ou PIAS après avoir connu les affres de l’auto-production, mais ils constituent une minorité silencieuse ! Aux deux autres extrémités, il y a Pop Star Academy, et des groupes de merde auto-produits ! Donc je ne crache dans aucune des deux soupes, pour ainsi dire : je serais le dernier à faire de la lo-fi en esthète, c’est juste ce qu’on fait quand on n’a pas de sous. Le jour où Universal, via Rosebud, Barclay ou autres, m’engage, je saurai d’où je viens, mais je ne ferai pas la fine bouche.

C’est quoi l’avenir proche pour Angil ?

— Lundi 10, je fais la première partie d’Eskobar, au Transbordeur de Lyon. Et puis, cette même semaine, j’enregistre une reprise d’Invisible Man des Breeders, avec un piano et trois ou quatre voix. Je vais retourner à Fréquence Jazz, où le programmateur Willy Dézélu a déjà ’post-produit’ mes deux derniers disques. Je vais essayer de participer à la compilation Travaux Publics lancée par Julien Jaffré (de vos collègues, Jade Web). Mais si ça ne passe pas, la chanson ne sera pas perdue… A part ça, je continue à composer tranquillement, en attendant l’an prochain, et je m’attache au concert de del, et à un enregistrement un peu sérieux cet été (le premier ’vrai’ disque de del en 8 ans d’existence…).

La question de fin : il écoute quoi Angil, et c’est quoi la disco de rêve pour lui ?

— A part les disques cités plus haut, je reviens toujours à Kim Deal, pour moi, LA figure emblématique dans ce qu’on a appelé le rock indépendant (ça pourrait être Guided by Voices, mais d’abord c’est une femme, et puis elle a quand même joué dans le groupe de référence dans ce style !). J’aime bien le dernier Breeders, je le trouve touchant. Sinon, les Beatles, Stereolab, la BO de Requiem for a dream de Clint Mansell. Dans les nouveautés, certains titres de 90 Day Men m’accrochent bien (notamment le morceau d’ouverture, terrible), et j’adore Black Heart Procession. Cinq indisc-pensables… - The Individualism of Gil Evans, loin devant tout le monde, ne serait-ce que pour Las Vegas Tango. - Plasic Ono Band. - Shleep, de Wyatt. - Malgré tout ce que j’ai dit sur le folk pourri (!), 41 et For all the Beautiful People de Swell. C’est très rare pour un groupe, d’arriver à faire deux chefs-d’œuvre absolus dans sa discographie. Eux, l’ont fait.